Salman Rushdie poignardé : "L'État iranien est gêné mais préfère ne pas prendre de position officielle", estime un spécialiste de l'Iran
Pour Thierry Coville, chercheur à l'IRIS, l'attaque qu'a subie Salman Rushdie n'a pas été commanditée par Téhéran. "Ce n'est pas du tout l'intérêt de l'État iranien de provoquer de cette manière les Etats-Unis", explique-t-il.
"L'État iranien est gêné, mais ne peut pas le dire ouvertement", estime Thierry Coville, spécialiste de l'Iran et chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), dimanche 14 août sur franceinfo, après l'agression au couteau contre Salman Rushdie, survenue vendredi soir.
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L'écrivain britannique faisait l'objet depuis 1989 d'une fatwa lancée par l'ancien guide de la révolution iranienne Rouhollah Khomeiny, pour avoir écrit Les Versets sataniques, un roman jugé blasphématoire. L'assaillant, Hadi Matar, a été présenté à un juge de l'Etat de New York. Il a plaidé non-coupable. Les procureurs ont estimé que l'attaque contre l'écrivain était préméditée. A 75 ans, l'intellectuel a été poignardé au moins à dix reprises au cou et à l'abdomen.
franceinfo : Il n'y a jusqu'ici aucune réaction officielle de l'Iran depuis vendredi. Est-ce que Téhéran, est gêné par cette attaque ?
Thierry Coville : Il y a des réactions dans les médias les plus durs, qu'il ne faut pas prendre comme représentatifs de la société iranienne, même s'ils se sont félicités de cette attaque. D'un autre côté, on voit dans les médias plus modérés des questions qui ne me surprennent pas. Ils se disent 'est-ce que ce n'est pas fait exprès pour faire échouer les négociations [de l'accord sur le nucléaire] ?' Il y a un complotisme très présent. Et je pense que l'État iranien est gêné, mais ne peut pas le dire ouvertement. Donc il préfère ne pas prendre de position officielle.
Je crois que dans le cas de l'Iran, cela reflète la dualité du pouvoir, avec un guide qui donne des directions qui ne vont pas forcément dans le sens de l'État iranien. C'était déjà le cas dans les années 90, puisque l'État iranien, via le président Rafsandjani, voulait rétablir les relations avec l'Union européenne alors que dans le même temps, il y avait cette fatwa contre Salman Rushdie. Il y a une qualité de la culture en Iran qui fait qu'ils arrivent à gérer ces contradictions.
Mais les médias américains disent que l'étude des réseaux sociaux du suspect de cette attaque a montré une grande sympathie avec les gardiens de la révolution iranienne. Est-ce que l'agression peut avoir été commanditée à Téhéran ?
Je n'y crois pas du tout. Ce n'est pas du tout l'intérêt de l'État iranien de provoquer de cette manière les Etats-Unis. Effectivement, pour des raisons de politique intérieure et de politique extérieure et l'idée d'être la première puissance dans le monde musulman, il faut toujours aller plus loin puisque cela attire une certaine popularité. Mais d'un autre côté, je ne vois pas l'intérêt de l'État iranien à se lancer dans ce type d'action qui renforce la méfiance aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux vis-à-vis de l'Iran.
Cette attaque peut-elle remettre en cause les négociations sur le nucléaire iranien ?
Je ne vois pas quelles sont les alternatives à cet accord. On en revient toujours au même problème. Admettons que les Américains se disent on ne peut pas signer cet accord avec l'Iran : l'Iran va continuer à développer son programme nucléaire. Donc c'est facile de critiquer cet accord. Le problème, c'est que les gens critiquent cet accord mais sont assez flous sur les alternatives. Et ces alternatives, on les connaît, mais il n'y a pas de solution. Ce sont des pressions économiques qui, pour l'instant, n'ont pas marché et qui renforcent le radicalisme du régime. L'autre alternative c'est la guerre. Mais je vous laisse imaginer les conséquences d'un conflit avec l'Iran qui toucherait sans doute tout le Moyen-Orient.
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