"Un papillon, un scarabée, une rose", le dernier roman de l'Américaine Aimee Bender au cœur de la folie
Véritable carton aux États-Unis, le nouveau livre d'Aimée Bender raconte avec délicatesse la folie du point de vue de la fille d'une femme psychotique, dans une très belle langue métaphorique.
Après le succès de La singulière tristesse du gâteau au citron (L'Olivier 2013), ce nouveau roman de l'Américaine Aimee Bender est un best-seller outre-atlantique. Un papillon, un scarabée, une rose est paru en France aux éditions de L'Olivier le 7 janvier.
L'histoire : Francie a huit ans quand elle est confiée à la garde de sa tante et de son oncle. Sa mère souffrant de maladie mentale, a dû être hospitalisée. Elle ne ressortira jamais de l'univers psychiatrique et Francie grandira en Californie auprès de sa tante, de son oncle, et de sa cousine Vicky, née le jour de son arrivée.
Devenue adulte, la jeune femme vend sur internet des objets qu'elle chine dans les brocantes, objets cabossés auxquels elle redonne vie en racontant une histoire pour mieux les vendre. Bien entourée par l'amour de son oncle Stan et de sa tante Minn, ses parents de remplacement, et par celui, inconditionnel, de sa cousine pour elle comme une petite sœur, Francie a grandi dans un relatif confort affectif. Elle a continué pourtant à vouloir passer ses nuits dans une chambre cadenassée de l'extérieur, comme elle le faisait quand elle vivait avec sa mère. Elle maintient ce rituel maintenant qu'elle est devenue adulte, en demandant à un voisin de l'enfermer chaque soir, et de lui ouvrir chaque matin.
Elle vit aussi avec dans sa tête les détails de ce voyage qui l'a éloignée définitivement de sa mère. Voyage qu'elle a tenu à faire en train pour que ce moment, qu'elle ressent du haut de ses huit ans comme un événement majeur, ne soit pas trop furtif. Elle vit aussi avec le souvenir d'événements bizarres, qui se sont produits avant et après ce voyage : un papillon dans un décor d'abat-jour, un scarabée dessiné dans un cahier, une rose imprimée sur un rideau, se sont étrangement matérialisés.
Sous une tente
Sur la terrasse de son appartement, elle décide un jour de construire avec l'aide de sa jeune cousine une tente, un endroit comme un cocon, pour activer les souvenirs. Francie s'y replie, refait le fameux voyage, revit les moments partagés avec sa mère avant la séparation, l'appartement parsemé de magnétophones enregistrant les conversations, ou encore des moments comme des flashs, où sa mère écrase sa main avec l'autre, armée d'un marteau, "persuadée que quelque chose rampait dans ses os", ou bien encore ces instants plus doux, où sa mère lui lisait des histoires… Elle repense aussi au quotidien de son enfance avec sa famille d'adoption, les coups de fil à sa mère et les visites dans la résidence psychiatrique où elle vit désormais.
Dans un temps dilaté par l'espace clos de sa tente, Francie dénoue petit à petit les liens qui la tiennent attachée à un passé hanté par la folie, difficile à comprendre pour une petite fille, et encore plus tard, à l'âge adulte. Elle finit par remettre les choses en place et parvient à "redonner de la netteté, de la précision et des détails à ce qui était flou". Un travail "assidu" qui lui permet de se débarrasser enfin des reliques, et du poids qui pèse sur ses épaules depuis de longues années.
À hauteur d'enfant
Le roman d'Aimée Bender explore avec une infinie douceur la question de la folie, et ses effets sur les proches de ceux qui en sont atteints. Loin des théories et des généralités, elle place le curseur narratif au niveau zéro de la distanciation. La romancière cale son récit sur le dispositif mis en œuvre par Francie sous la tente : se mettre dans la peau de l'enfant qu'elle a été, un être dont le champ de connaissance du monde, du contexte, des enjeux, est encore très restreint.
Aimee Bender invite ainsi le lecteur à partager une expérience singulière, celle de Francie, avec sa façon à elle d'intérioriser la folie de sa mère, d'installer des mécanismes de défense - la rêverie, l'imagination et des rituels - pour rendre supportable la réalité et mettre à distance la souffrance afin de ne pas sombrer elle-même dans la folie.
L'écriture métaphorique d'Aimée Bender, composée de phrases très longues figurant les pensées de Francie, accompagne merveilleusement ce roman parfaitement construit, qui se lit comme un voyage intérieur dont l'issue réconforte et démontre de manière magistrale comment un récit transfiguré du réel, et par extension la littérature, peut sauver de tout.
Un papillon, un scarabée, une rose, d'Aimee Bender traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy (L'Olivier – 350 pages – 22,50 €)
Extrait :
"Cette nuit-là, dans mon lit, les yeux rivés sur le plafond de ma chambre, la porte verrouillée, la tente sur le balcon ajoutant son poids à l’appartement, un poids subtil que j’avais l’impression de sentir, j’ai mis au point un plan. Tant que j’utiliserais la tente, il serait important de maintenir un emploi du temps des plus simples. J'avais démissionné de mon travail et tant que je pourrais payer mes factures, je resterais maître de l’organisation de mes journées. J’essaierais de me réveiller tôt pour aller dans la tente aux premières lueurs du jour, avant le lever du soleil si possible, au moment où il ferait le moins chaud, et une fois à l’intérieur, je rêvasserais forcément, penserais à d’autres choses et ferais des listes pour mes envois, mais je tâcherais de laisser les souvenirs prendre forme, pour tenter, morceau par morceau, à force d’attention et d’assiduité, de redonner de la netteté, de la précision et des détails à ce qui était fou. Je voulais me concentrer sur la période qui avait débuté avec le marteau et s’était achevé avec mon arrivée à Burbank et qui comprenait la venue de mon oncle, le week-end chez la baby-sitter, le trajet en train avec l’accompagnateur et, bien sûr, l’apparition en parallèle du papillon dans le verre d'eau et du scarabée sur la feuille de contrôle, puis des roses sous le rideau bien des années plus tard. Ce serait mon projet, même si je savais bien que d’autres souvenirs pouvaient surgir, que les souvenirs n’étaient pas des soldats alignés en rangs bien ordonnés. Ce n’était pas grave. Je verrais bien. Je ne prendrais ni montre ni chronomètre avec moi, c’est bien que cette espace serait hors du temps, une espèce de casino sans rien à l’intérieur. Un tout petit casino triangulaire en toile, silencieux et vide sans argent." (Un papillon, un scarabée, une rose, page 132-133)
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