Rentrée littéraire - "Une chance folle" : 5 questions à Anne Godard
Magda a été gravement brûlée dans sa toute petite enfance. Elle ne se souvient de rien, mais sa mère a tout noté. Le second roman d'Anne Godard, "Une chance folle" (Minuit), explore les blessures de l'enfance et le chemin (long) que chacun doit accomplir pour "apprendre à parler en son nom propre". Interview.
Anne Godard : on peut dire que le sujet, ce sont les blessures d’enfance et leurs cicatrices, au propre comme au figuré, au physique comme au moral, et la manière dont les récits qu’on en fait donnent forme à / déforment / transforment l’expérience. On peut dire aussi qu’il s’agit du regard et de la parole, de la peau et du toucher. On peut dire encore, et c’est une manière plus linéaire, plus simple, mais juste aussi, qu’il s’agit de voir grandir une enfant, et de ses rêves de métamorphose, jusqu’à l’adolescence.
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Comment est né le livre ?
Le livre, comme le précédent, est un très ancien projet, je ne peux pas dire comment il est né, ce que je sais, c’est que j’ai mis très longtemps à trouver comment donner sa voix à la jeune fille, la laisser parler en son nom propre, elle qui cherche à remonter à des souvenirs qu’elle ne peut pas avoir gardés. Elle est comme otage de la parole d’autrui et elle met très longtemps à vivre pour /par elle-même ce qui constitue sa part la plus intime. Dans les nimbes de l’origine de ce livre, il y a ça : quelqu’un parle, et son récit est vain, car il n’atteint pas à ce qu’il est en train de raconter, il passe à côté ou pire encore, il le détruit en l’énonçant, en essayant de le fixer. Et pourtant quelque chose se fait, de manière sourde, un peu comme malgré elle, comme dans un morceau de musique se développe un thème qu’on ne voit pas au début, mais qui donne un sens, rétrospectivement, aux morceaux épars des commencements.
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Comment avez-vous travaillé sur "Une chance folle" ?
Dans ce livre, comme dans le précédent j’essaie d’atteindre quelque chose que l’on ne peut pas vraiment raconter : en ce sens, écrire est autre chose que parler, c’est creuser dans les profondeurs vers quelque chose d’incommunicable dans l’expérience. C’est un processus très long, qui me demande beaucoup.
J’écris et je réécris sans cesse, jusqu’à ce que cela sonne juste. C’est le rythme, le balancement de la phrase qui permet de faire passer un mélange complexe d’émotions, souvent contradictoires, à peine conscientes. J’essaie de trouver des équivalents à des sensations, qui passeraient mieux par la musique. Et en même temps la construction se fait comme une sorte de puzzle, où les événements, les thèmes prennent place les uns par rapport aux autres.
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"Une chance folle", pourquoi ce titre, comment l’avez-vous choisi ?
Une chance folle, c’est une antiphrase, la malchance d’avoir été accidentée, mais aussi, de manière plus complexe, la chance paradoxale des survivants : on a échappé à la mort, une, voire plusieurs fois, et chaque fois, on se demande « Pourquoi moi ? » ou « Pourquoi eux et pas moi ? » et il faut vivre avec.
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Le pitch pour donner envie au lecteur de lire votre livre ?
L’expérience de Magda est particulière, mais c’est aussi celle de tout enfant, qui découvre à un moment donné qu’il n’a pas accès à la part de sa vie qui précède sa maîtrise du langage. Littéralement, il est sans voix, et doit s’en remettre à ce que ses parents peuvent en dire. C’est très progressivement que l’intériorité se construit. La blessure physique agit comme une sorte de révélateur, comme en photographie, elle rend visible ce qui se passe, il me semble, pour chacun de nous : il nous faut apprendre à parler en notre nom propre, et c’est très long, et finalement très difficile, toute la vie. Il faut être à l’écoute. C’est aussi ce qui peut donner envie de lire, quand on entend une voix, une musique qui sonne juste, on sait qu’il y a quelqu’un « dedans », c’est vrai pour un livre qu’on ouvre comme pour soi-même. "Une chance folle", d'Anne Godard
(Minuit - 142 pages - 14 €)
Anne Godard - Bio
Anne Godard est née en 1971 à Paris. Elle vit à Tours. Elle enseigne la langue et la littérature françaises à la Sorbonne-Nouvelle-Paris 3. Elle a obtenu le Grand Prix RTL/Lire 2006 pour L'Inconsolable (Minuit - 2006).
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