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Rentrée littéraire - "Par le vent pleuré" : 5 questions à Ron Rash

Avec "Par le vent pleuré" (Seuil), le romancier américain Ron Rash raconte l'été 68, le fameux "Summer of love", à travers l'histoire de deux frères bouleversés par l'arrivée dans leur vie d'une jeune femme qui apporte avec elle le vent de liberté qui souffle sur l'Amérique. "Je voulais réussir à faire un livre comme "L'étranger" de Camus, explique le romancier. Interview.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Ron Rash, auteur de "Par le vent pleuré" (Seuil)
 (Laurence Houot / Culturebox)
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Quel est le sujet de votre roman ?
Ron Rash : c'est tout l'esprit des années 60 concentré en un été. La luxuriance, la liberté, la drogue, le sexe, l'épanouissement. C'est le "Summer of Love", l'été du "tout est possible". Cela commence en juin, et puis en août tout bascule avec le meurtre de Sharon Tate, et ensuite le concert des Rolling Stones à Altamont pendant lequel un spectateur noir est assassiné. L'assassinat de Ligeia dans le livre a lieu juste après celui de Sharon Tate.

Ce livre est aussi un livre qui parle de la rivalité entre deux frères. L'éternelle rivalité qui a commencé avec Abel et Caïn. Le principe de ce livre est de raconter une histoire qui a l'air toute simple, mais qui si l'on creuse, touche à toutes sortes d'autres choses et nous emportent loin, très loin, jusqu'à la Bible (il sourit).
 
C'est aussi un livre sur la mémoire, sur ce que deviennent les faits passés par la narration. C'est à la fois "se souvenir" et "raconter une histoire". Il y a aussi toute l'incertitude qui régit cette narration et en particulier dans ce roman, le fameux concept du "narrateur non fiable". On s'interroge sur le degré de crédibilité d'Eugène, le narrateur. Pour ce personnage, raconter est un acte de pénitence. Il se rachète en créant un écrin pour cette femme, qu'il appelle "la sirène".

Dans ce roman je joue aussi beaucoup avec les éléments : l'eau, le feu…
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Comment est né le livre ?
Au départ c'est un fait divers. Il y a 20 ans, pas loin de la ville où j'ai grandi (Ashville, en Caroline du Nord, c'est là que se déroule le roman), il y a eu une histoire comme ça, d'une fille qui était sortie avec deux garçons. La jeune fille a été retrouvée morte et cela a beaucoup secoué la communauté. On n'a jamais rien trouvé contre les deux garçons, aucune trace de rien. L'enquête a été bouclée et la vie a continué.

À partir de là j'ai fait régulièrement des cauchemars. Je rêvais que j'avais commis un meurtre. Et je me réveillais en me sentant coupable. C'était très désagréable. A partir du moment où j'ai commencé à écrire cette histoire (20 ans plus tard), les rêves se sont arrêtés.
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Comment avez-vous travaillé sur "Le vent pleuré"?
C'est l'un des romans que j'ai écrit le plus rapidement. Je pense que c'est à cause de ce rêve. C'est une histoire qui a mûri, chauffé très longtemps (il fait un geste circulaire avec ses mains près de sa tête), et le jour où je me suis mis à écrire, c'est arrivé avec une grande clarté et c'est allé très vite.

J'ai été très marqué quand j'étais adolescent par la lecture de "L'étranger", d'Albert Camus, que j'ai lu dans les années 60. J'avais été très impressionné. Je me suis dit qu'un jour, j'aimerais écrire un livre comme celui-là, où beaucoup d'éléments de l'histoire existent dans les non-dits. Je voulais réussir un livre comme "L'étranger", à écrire sans me répandre, en évaluant tout ce que l'on peut enlever au texte sans que le truc ne se casse la figure.

Donc pour travailler sur ce roman, j'ai d'abord voulu raconter une histoire simple, la plus concise et la plus ramassée possible. L'idée étant que derrière cette surface plane, simple en apparence, il y a des couches qui se démultiplient, de plus en plus profondément. C'est comme une rivière à truites, c'est clair et transparent, et en même temps il y a des choses cachées, des endroits où si l'on pose le pied on s'enfonce jusqu'au cou !
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"Par le vent pleuré", pourquoi ce titre, comment l'avez-vous choisi ?
Le titre du roman en anglais est "The Risen", qui signifie la "Résurrection". Mon éditrice française, Marie-Caroline Aubert pensait qu'en français ça ne passait pas. Alors elle m'a demandé quel était mon titre de travail. Je lui ai dit "Ligeia", qui est le nom de l'héroïne. En France peu de gens connaissent cette nouvelle éponyme d'Edgard Poe, donc cela n'avait pas tellement de sens et puis c'est un nom difficile à prononcer en français. Et finalement, on a repris le premier titre que j'avais choisi : "Par le vent pleuré", ce morceau de phrase tiré d'une citation de Thomas Wolfe, et dont mon éditeur américain n'a pas voulu. Il faut croire que mon éditrice française a meilleur goût !
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Que diriez-vous en quelques mots pour donner envie au lecteur de lire votre livre ?
C'est un hommage à la libération de la fin des années 60. J'espère que ce livre montre ce qu'ont été les années 60 et comment cet été-là a changé des vies. Je pense que c'est un livre qui parle aux Américains, mais qui peut aussi parler aux Européens. Je voulais montrer comment ce mouvement a été perçu y compris de loin, dans un bled perdu. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'à travers la musique, tout le monde a été touché par cet élan, tout le monde a eu la chance de recevoir ça, même sans être physiquement dans les lieux où cela se déroulait. C'est un peu comme si une bouteille avait été lancée à la mer, avec un message dedans, et que plein de gens l'avaient reçu. Tout ça à travers la musique.

C'est une période qui a libéré la joie, la musique, l'amour, la fraternité mais en même temps qui a aussi libéré Charles Manson. Le même été il y a eu ces massacres et en même temps des gens qui dansaient nus sur les plages… Et puis ensuite comme si s'accomplissait la sombre prophétie des Doors, cela se termine mal, en tous cas aux Etats-Unis c'est certain, cela a mal fini…

(Merci pour la traduction, par Marie-Caroline Aubert, éditrice de Ron Rash en France aux éditions du Seuil)

 
"Par le vent pleuré", de Ron Rash, traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez (Seuil – 208 pages – 19,50 €)

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