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"Potentiel du sinistre", roman ravageur sur les eaux glacées du management

L'auteur, Thomas Coppey, signe ici un premier roman époustouflant sur le management à l'anglo-saxonne comme machine à broyer. L'histoire ? Son héros, l'ingénieur financier Chanard tombe sur le poste de sa vie. Créativité, perspective : c'est sûr, il va exploser. Dans quel sens ? Une fiction magistrale qui dénonce les techniques de manipulation des entreprises, ces souveraines modernes.
Article rédigé par franceinfo
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  (Isabelle Mayault)

"Potentiel du sinistre" happe immédiatement le lecteur, pris dans l'engrenage, comme le héros, Chanard. Le livre débute sur l'image quasi- idyllique d'un couple de jeunes cadres CSP +, qui vient d'avoir un enfant. Lui se voit proposer un poste en or, qu'il accepte. Seul bémol :  un travail accaparant, mais l'entreprise n'est-elle pas en droit d'exiger beaucup de ce "haut potentiel" à qui tant est promis, pour peu qu'il s'en donne la peine ?

De son côté à elle ? Tout va bien. Certes, après un bébé, elle peine à retrouver sa place dans l'entreprise, mais n'est-ce pas le bon moment de s'interroger ? De redémarrer autre chose ?

Une machine à doper stress et rendement

Tout est en place. Chanard invente un ingénieux mécanisme, sorte de machine à subprime qui consiste à miser sur des catastrophes naturelles. Machine, aussi, à doper les rendements, le stress de la hiérarchie et surtout l'angoisse de son concepteur, peu à peu dévoré par un travail qui s'infiltre et dévore tous les pans de sa vie privée.

Fasciné, le lecteur voit la toile d'araignée se mettre en place et emprisonner celui qui croyait maîtriser son destin. Pourtant intelligent et doté d'esprit critique, Chanard se coule dans le moule, adopte le sabir, puis les comportements exigés pour "performer" dans sa firme. Avec états d'âme, il se plie aux exigences : restructuration, élimination des maillons faibles, course sans fin au rendement ... Jusqu'au jour où ...

Le jus manipulateur du jargon managérial

La force de ce premier roman impressionnant ? Essorer le jargon managérial et en sortir le jus manipulateur. "J'ai occupé, nous raconte l'auteur, pour un boulot d'étudiant, le poste de standardiste pour une banque. Pendant des heures, je me suis promené sur l'intranet du groupe. J'ai pu découvrir cette langue étonnant de la finance, la description de certains outils d'évaluation, les codes de conduite, etc.. J'y trouvais quelque chose qui relevait nettement de la littérature, une vraie expérience linguistique."

"L'envie d'écrire ce roman", ajoute-t-il, "est au croisement de plusieurs questionnements sur le travail. La part qu'il occupe dans nos vies, la façon dont on peut le vivre comme aliénation et en même temps comme horizon, la façon dont il est encadré, qui sont les chefs, que veulent les chefs. Le travail au moment où l'on cherche à s'en échapper pour s'apercevoir que notre vie est bâtie autour de lui.

De là vient ce rapport au langage du management, qui est certainement le plus puissant vecteur d'idéologie dans l'entreprise, et celui qui est probablement le moins remis en cause. Un langage qui porte quelque chose d'assez ludique, ce qui le rend efficace et en même temps franchement littéraire."

Le monde fascinant et si littéraire de la finance

Et de conclure par l'ultime objet de sa fascination : "Enfin, la finance. Je ne sais pas où mieux que là on couple un détachement à l'égard du monde, un mépris pour les conséquences de l'action et de si belles réussites (les bonus individuels en millions) ou de si lourdes chutes. J'ai le sentiment que la littérature, sans nécessairement mettre en scène des psychopathes polytoxicomanes a quelque chose à faire".

Le jeune auteur (33 ans cette année) a su allier avec dextérité une langue froide, précise et légère à une intrigue qui avance comme un étau et enserre le héros avant le brillant dégagement final. De ce Potentiel du sinistre, il reste un tableau clinique de ce XXIe siècle débutant et un double et délicieux sentiment de de malaise et de maestria. Un froid-chaud littéraire dont vous sortirez soufflé.

Potentiel du sinistre Thomas Coppey  (Actes Sud) 19 euros

Extrait

Le lendemain, ... on fait porter à Chanard une note, expliquant en peu de mots que le remaniement va consister à se séparer de 10% de l'effectif primaire de l'équipe. Ce qui signifie 0,5 personne pour une équipe de cinq. Autrement dit une personne. Le courrier sous-entend que les efforts engagés pour rassurer et retenir les clients malmenés lors de la récente crise appellent cette mesure, drastique certes, mais indispensable. Chanard s'affole en imaginant qu'il va devoir désigner la victime de la restructuration. Il aurait un faible pour le Nouveau, il sent que les suggestions implicites vont vers un autre ...
 

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