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"Le voyage de Hanumân" l'épopée de deux réfugiés au Danemark, par Andreï Ivanov, écrivain apatride
"Le voyage de Hanumân" (Le Tripode), premier volet d'une trilogie signée Andreï Ivanov, écrivain russophone apatride, est l'odyssée de deux exilés, l'un indien, l'autre estonien, atterris au Danemark et errant de camps de réfugiés en vaines expéditions. Un roman servi par une langue pleine d'inventions et de bourrasques, qui jette sur le monde des réfugiés un regard sans tabou ni angélisme.
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L'histoire : région de Jutland, Danemark, dans la jungle d'un camp de réfugiés de la Croix-Rouge, deux compères, Hanumân, un indien et Eugène, estonien au passé trouble, survivent comme ils peuvent de magouilles et de trafics en tous genres. Ils rêvent de rejoindre l'île mythique de Låland, petit paradis plein de discothèques, d'hôtels et de filles faciles... Sur leur chemin, et dans le camp, ils rencontrent toute une faune d'exilés venus des quatre coins de la planète. Un Népalais homosexuel, un couple de Russes dont le père maltraite sa petite fille, des Albanais, des "Arabes", des Ukrainiens, des Kurdes, des Gitans… Tous "emportés au Danemark par un ouragan", comme "rejetés sur le rivage après un naufrage".
Don Quichotte des temps modernes (en moins chevaleresque), Hanumân ne cesse de faire des plans sur la comète, d'imaginer des combines pour faire fortune, de se rêver un avenir, qui passe par Låland, New York, ou la Hollande… Son acolyte Eugène, le narrateur, est moins optimiste. Car les personnages, pleins d'emphase et de panache, sont souvent rattrapés par la réalité : le manque d'argent, la faim, le froid, les maladies qui tournent en un rien de temps à la gangrène, la misère sexuelle, la drogue, l'alcool, le racisme, la violence… "J'avais le sentiment qu'il n'y avait que notre camp qui existait et que le reste du monde avait disparu, et alors, pendant ces jours, vivre au camp, c'était comme dériver sur l'arche de Noé", confie Andreï Ivanov, ajoutant que cette expérience, "propice à l'écriture", est aussi "un enfer qu'il ne "souhaite à personne".
"Le voyage de Hanumân" porte aussi un regard acide sur le Danemark, et au delà sur un monde occidental riche, confortable, inhospitalier : "Hanumân vomissait la province danoise. Ces jardinières de fleurs sur les fenêtres des gammel kro, et, derrière la vitre, comme dans un aquarium, ces petits vieux recroquevillés qui, craintivement, découpent en rondelles une petite saucisse avec un petit couteau". Un monde "soigneusement peigné", où "tout est planifié", où "deux misérables poux comme Hanny et moi" ne pouvaient espérer trouver un recoin où se cacher", où "même les arbres avaient l'air d'avoir été plantés exprès pour nous surveiller". Et les Danois, "froids comme les rails impitoyables".
"C'était un projet provocateur mais j'ai compris que je n'y arriverais pas. C'était un livre qui n'avait pas de squelette, ni de suite, ni de logique, fait d'histoires et d'émotions juxtaposées. J'ai alors complètement arrêté d'écrire. Et je me suis posé la question de la forme. J'ai passé deux ans et demi à chercher la meilleure façon de raconter cette histoire", explique l'écrivain. "J'ai cherché dans les modèles de la littérature mondiale, et j'en ai conclu que c'était le roman picaresque qui convenait le mieux !"
De ce grand projet il reste un roman lyrique, écrit dans une langue qui porte en elle toute l'énergie déployée par les migrants en situation de survie, en même temps qu'elle charrie l'extrême violence de ces vies en transit. "Il reste dans la version définitive du roman écrit en russe des traces de ce roman en langue hybride que voulait faire Andreï à l'origine", explique Hélène Henry, sa traductrice, qui confie avoir passé énormément de temps sur la traduction de ce roman. ""Il fallait que je donne à sentir dans la traduction cette hybridation au point de vue de la langue", explique-t-elle.
"Des passages entiers du livre étaient écrits dans un mélange de serbe, danois, anglais, avec des mots en arabes, en albanais… Il fallait que je réussisse à transcrire en français cette langue concassée", ajoute la traductrice. "Il y a aussi un rapport au temps particulier dans l livre, qui est difficile à rendre en français", souligne-t-elle. "Oui, j'ai beaucoup travaillé sur le rythme, qui fait du sur place, j'ai beaucoup travaillé à trouver un procédé pour arriver à cette parole qui se répète, avec des modèles comme le roman de l’Écossais James Kellman, "Si tard, il était si tard" (Métailié, 2015, pour la version française) ", ou "La faim", un roman de la fin du XIXe siècle, du norvégien Knut Hamsun.
Amoureux de littérature (il a fait une thèse sur Nabokov, a étudié Joyce avant de quitter l'Estonie), l'écrivain cite aussi pour évoquer ses inspirations le "Satyricon" de Petrone, Henri Miller, et Louis Ferdinand Céline, "pour les émotions", et Joyce, pour le "style mimétique"…
"Si les Danois pouvaient, ne serait-ce qu'une fois, avoir accès aux rêves des migrants ; entendre, ce serait-ce qu'une fois, gronder le courant de conscience des migrants, s'ils pouvaient comprendre ce qu''est ce fleuve turbulent et terrible, combien il carrie de pierres, de caillasses, de peur en suspension, combien pèse la bourbe qui l'angoisse...".
Pour l'entendre, il faut lire "Le voyage de Hanumân".
"Le voyage de Hanumân", Andrei Ivanov, traduit du russe (Estonie) par Hélène Henry (Le Tripode - 435 pages - 24 euros)
Extrait :
Hanumân ne se faisait pas au silence qui enveloppait les week-ends, au brouillard noir d'où sortaient des sons criards et indéchiffrables, au grelottement des chaînettes et des clochettes dans les stations-service, au parler particulier de Jutland, à la dégaine des vieux et au raclement de leurs pieds. Il ne comprenait pas dans quel sens s'ouvraient les portes. Ce qui, probablement, était pire que tout.
Le refus de ce monde étranger le poussait à d'idiotes entorses à la loi. Il se roulait des pelotes de papier toilette, volait des Kleenex par paquets entiers. Jamais il ne quittait un café sans embarquer un cendrier ou une salière. On aurait pu le croire cleptomane, ou simplement fou. Il n'était ni l'un ni l'autre. Il se vengeait des offenses que ce monde lui infligeait ; il m"prisait ces gens qui vivaient là si facilement. Il avait mille raisons... Il les méprisait. Parce qu'il étaient si propres sur eux, qu'ils portaient des vêtements nets et bigarrés, que même les retraités s'habillaient comme des ados . il vomissait leurs sacs à dos, leurs capuchons roses, leurs moufles vertes, leurs baskets rouges...
- Ces gens ressemblent à des bonshommes en pâte d'amande, disait Hanumân.
J'étais d'accord avec lui le plus répugnant, c'était que ces bonshommes avaient des yeux et qu'ils vous fixaient tout le temps. Je sentais sans cesse ce regard... Un regard si particulier... tu le sens glisser sur la foule, sur la rue, les vitrines, et puis il tombe sur toi et s'y attarde, les yeux ses rétrécissement, t’étudient, ils te déchiffrent comme on lit une pancarte, ils essaient de te mettre dans une case... Un regard qui classifie... Mais cela ne marchait pas. Il n'y avait pas de place pour nous dans la liste."
Don Quichotte des temps modernes (en moins chevaleresque), Hanumân ne cesse de faire des plans sur la comète, d'imaginer des combines pour faire fortune, de se rêver un avenir, qui passe par Låland, New York, ou la Hollande… Son acolyte Eugène, le narrateur, est moins optimiste. Car les personnages, pleins d'emphase et de panache, sont souvent rattrapés par la réalité : le manque d'argent, la faim, le froid, les maladies qui tournent en un rien de temps à la gangrène, la misère sexuelle, la drogue, l'alcool, le racisme, la violence… "J'avais le sentiment qu'il n'y avait que notre camp qui existait et que le reste du monde avait disparu, et alors, pendant ces jours, vivre au camp, c'était comme dériver sur l'arche de Noé", confie Andreï Ivanov, ajoutant que cette expérience, "propice à l'écriture", est aussi "un enfer qu'il ne "souhaite à personne".
Les rêves perdus d'avance
Dans le monde des réfugiés, il y a aussi le mensonge, la mystification comme remède à la violence du quotidien, "parce que tout ça ne nous arrive pas à nous, mais arrive en rêve à quelqu'un d'inventé, d'imaginé – un personnage. Et les personnages ne peuvent pas mourir, parce qu'ils ne sont pas vivants. Ils vivent en rêve, en imagination, totalement à l'abri, absolument libres, comme des héros de livres ou de bande dessinée"."Le voyage de Hanumân" porte aussi un regard acide sur le Danemark, et au delà sur un monde occidental riche, confortable, inhospitalier : "Hanumân vomissait la province danoise. Ces jardinières de fleurs sur les fenêtres des gammel kro, et, derrière la vitre, comme dans un aquarium, ces petits vieux recroquevillés qui, craintivement, découpent en rondelles une petite saucisse avec un petit couteau". Un monde "soigneusement peigné", où "tout est planifié", où "deux misérables poux comme Hanny et moi" ne pouvaient espérer trouver un recoin où se cacher", où "même les arbres avaient l'air d'avoir été plantés exprès pour nous surveiller". Et les Danois, "froids comme les rails impitoyables".
Roman picaresque
Né dans une famille russe en 1971 en Estonie (soviétique), Andreï Ivanov a puisé dans sa propre histoire pour raconter cette odyssée. Pour fuir un passé qu'il ne dévoile pas complètement (il évoque la mafia), il quitte l'Estonie à la fin des années 90 et se retrouve à errer au Danemark, apatride, sans-papiers, où il finit par atterrir dans un camp de réfugiés. Très vite il se met à prendre des notes. Sa première idée est d'écrire dans un livre dans une langue nouvelle, celle, mosaïque, qui s'invente dans les camps. Il raconte, léger accent mais dans un français parfait : "L'idée était de rendre audible cette langue des réfugiés, un anglais mâtiné d'arabe, de serbo-croate, d'albanais, et en faire la matière même du livre", explique Andreï Ivanov, "comme si le camp parlait lui-même", ajoute-t-il, ses yeux qui sourient sans cesse derrière ses lunettes. Il travaille deux ans et demi sur ce projet (après avoir quitté les camps). "C'était un défi, une idée trop lourde à porter pour la mener à bout", poursuit-il."C'était un projet provocateur mais j'ai compris que je n'y arriverais pas. C'était un livre qui n'avait pas de squelette, ni de suite, ni de logique, fait d'histoires et d'émotions juxtaposées. J'ai alors complètement arrêté d'écrire. Et je me suis posé la question de la forme. J'ai passé deux ans et demi à chercher la meilleure façon de raconter cette histoire", explique l'écrivain. "J'ai cherché dans les modèles de la littérature mondiale, et j'en ai conclu que c'était le roman picaresque qui convenait le mieux !"
Une langue "concassée"
Andrei Ivanov quitte le camp. Il séjourne alors à Hesbjerg, un village Hippie du Danemark, où se lance dans l'écriture de son roman, en Russe. "C'était un endroit génial, transformé par un pasteur danois en lieu de refuge, et qui a ensuite été transmis à sa mort à un monastère de femmes. C'était un lieu fantastique, avec ce château au milieu et autour un camp hippie, des caravanes de roms", raconte-t-il. Son roman connait un vif succès dès sa publication en Russie en 2009, où il se retrouve dans la short list de l’équivalent du Booker Price russe.De ce grand projet il reste un roman lyrique, écrit dans une langue qui porte en elle toute l'énergie déployée par les migrants en situation de survie, en même temps qu'elle charrie l'extrême violence de ces vies en transit. "Il reste dans la version définitive du roman écrit en russe des traces de ce roman en langue hybride que voulait faire Andreï à l'origine", explique Hélène Henry, sa traductrice, qui confie avoir passé énormément de temps sur la traduction de ce roman. ""Il fallait que je donne à sentir dans la traduction cette hybridation au point de vue de la langue", explique-t-elle.
"Des passages entiers du livre étaient écrits dans un mélange de serbe, danois, anglais, avec des mots en arabes, en albanais… Il fallait que je réussisse à transcrire en français cette langue concassée", ajoute la traductrice. "Il y a aussi un rapport au temps particulier dans l livre, qui est difficile à rendre en français", souligne-t-elle. "Oui, j'ai beaucoup travaillé sur le rythme, qui fait du sur place, j'ai beaucoup travaillé à trouver un procédé pour arriver à cette parole qui se répète, avec des modèles comme le roman de l’Écossais James Kellman, "Si tard, il était si tard" (Métailié, 2015, pour la version française) ", ou "La faim", un roman de la fin du XIXe siècle, du norvégien Knut Hamsun.
Amoureux de littérature (il a fait une thèse sur Nabokov, a étudié Joyce avant de quitter l'Estonie), l'écrivain cite aussi pour évoquer ses inspirations le "Satyricon" de Petrone, Henri Miller, et Louis Ferdinand Céline, "pour les émotions", et Joyce, pour le "style mimétique"…
"Si les Danois pouvaient, ne serait-ce qu'une fois, avoir accès aux rêves des migrants ; entendre, ce serait-ce qu'une fois, gronder le courant de conscience des migrants, s'ils pouvaient comprendre ce qu''est ce fleuve turbulent et terrible, combien il carrie de pierres, de caillasses, de peur en suspension, combien pèse la bourbe qui l'angoisse...".
Pour l'entendre, il faut lire "Le voyage de Hanumân".
"Le voyage de Hanumân", Andrei Ivanov, traduit du russe (Estonie) par Hélène Henry (Le Tripode - 435 pages - 24 euros)
Extrait :
Hanumân ne se faisait pas au silence qui enveloppait les week-ends, au brouillard noir d'où sortaient des sons criards et indéchiffrables, au grelottement des chaînettes et des clochettes dans les stations-service, au parler particulier de Jutland, à la dégaine des vieux et au raclement de leurs pieds. Il ne comprenait pas dans quel sens s'ouvraient les portes. Ce qui, probablement, était pire que tout.
Le refus de ce monde étranger le poussait à d'idiotes entorses à la loi. Il se roulait des pelotes de papier toilette, volait des Kleenex par paquets entiers. Jamais il ne quittait un café sans embarquer un cendrier ou une salière. On aurait pu le croire cleptomane, ou simplement fou. Il n'était ni l'un ni l'autre. Il se vengeait des offenses que ce monde lui infligeait ; il m"prisait ces gens qui vivaient là si facilement. Il avait mille raisons... Il les méprisait. Parce qu'il étaient si propres sur eux, qu'ils portaient des vêtements nets et bigarrés, que même les retraités s'habillaient comme des ados . il vomissait leurs sacs à dos, leurs capuchons roses, leurs moufles vertes, leurs baskets rouges...
- Ces gens ressemblent à des bonshommes en pâte d'amande, disait Hanumân.
J'étais d'accord avec lui le plus répugnant, c'était que ces bonshommes avaient des yeux et qu'ils vous fixaient tout le temps. Je sentais sans cesse ce regard... Un regard si particulier... tu le sens glisser sur la foule, sur la rue, les vitrines, et puis il tombe sur toi et s'y attarde, les yeux ses rétrécissement, t’étudient, ils te déchiffrent comme on lit une pancarte, ils essaient de te mettre dans une case... Un regard qui classifie... Mais cela ne marchait pas. Il n'y avait pas de place pour nous dans la liste."
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