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"La servante du Seigneur" de Jean-Louis Fournier : la lettre d'un père à sa fille égarée
Jean-Louis Fournier poursuit le récit de sa vie de père dans son dernier roman "La servante du Seigneur". Dans un chant désespéré où bat le cœur de l'humour noir, il s'adresse cette fois à sa fille, Marie, qu'il a égarée depuis qu'elle a rencontré "Monseigneur".
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L'histoire : Jean Louis Fournier a eu trois enfants : Matthieu, Thomas et une fille. Des deux garçons, on a déjà entendu l'histoire, puisque leur père en a fait le récit dans "Où on va papa?" (Stock, prix Fémina 2008). Le troisième enfant est une fille, "le chef-d'œuvre" après deux "brouillons". Mais cette fille-là, son père l'a "égarée". Depuis qu'elle a rencontré Monseigneur, il ne la reconnait plus. Ce père "pas anticlérical, ni agnostique, ni athée, peut-être panthéiste tendance iconoclaste" se demande "pourquoi depuis qu'elle a décidé d'être sainte, elle est de moins en moins agréable". Il n'en finit pas de s'interroger "Je l'ai retrouvée. Elle avait bien changé. Je l'ai à peine reconnue. Elle est grave, elle dit des mots qu'elle ne disait pas avant, elle parle comme un livre. Je me demande si c'est vraiment elle."
Jean-Louis Fournier emploie le terme "égaré", utilisé habituellement pour les brebis perdues pour la religion. Sa brebis à lui, sa fille, s'y est perdue. Comme à de nombreuses reprises dans son récit, Jean-Louis Fournier reprend la terminologie religieuse pour s'adresser à sa fille, comme s'il essayait d'être compris en adoptant sa langue. "Pourquoi nous as-tu abandonnés?" demande-t-il à sa fille dans un cri de tristesse mêlé de colère.
L'humour est la politesse du désespoir
Après le récit de la vie de ses deux premiers fils Matthieu et Thomas, handicapés, dans "Où on va papa ?", Jean-Louis Fournier adresse à sa fille cadette ce roman d'un amour paternel déçu. Seule enfant "normale" de l'écrivain, sa fille a pris un chemin qui l'a éloignée de son père. Jean-Louis Fournier évoque dans ce roman la distance qui s'est installée avec sa fille après sa rencontre avec celui qu'il appelle "Monseigneur", et dont on sent qu'il est moyennement sympathique.
Mais les enfants ne nous appartiennent pas. "Elle n'a pas été mise sur terre pour que ma volonté soit faite, pour que je sois heureux", souligne l'écrivain, "L'important c'est quelle soit heureuse. Est-ce qu'elle est heureuse?" s'interroge Jean-Louis Fournier. Entre les lignes sa colère, sa tristesse, et la nostalgie d'un temps passé heureux, celui de l'enfance de sa fille. "Tu étais notre lumière, après tellement de ténèbres", lui dit-il.
En s'adressant à sa fille, Jean-Louis Fournier parle aussi de lui-même
Sa vision du monde et des hommes, son allergie à la raideur des dogmes et à la "monophonie", et une tentative d'introspection pour comprendre ce qui a pu pousser sa fille dans les retranchements d'une vie soumise et étriquée, où l'amour a disparu. Pour dire tout cela, Jean-Louis Fournier recourt comme à son habitude à l'humour, cette "politesse du désespoir" qu'affectionnait tant son complice Pierre Desproges.
Son chant, qui alterne le "elle" et le "tu", s'achève sur une invitation: "Quand rentres-tu? Je t'ai préparé un très bon goûter, avec tout ce que tu aimes. J'ai choisi des fruits rares. J'ai mis sur la table une nappe brodée, des petits couverts à dessert en argent, des assiettes du XVIIIe peintes à la main. Des carafes en cristal taillé, des jus de fruits de toutes les couleurs, une chocolatière qui fume, des brioches tièdes. Encore de la brioche… Quand rentres-tu? Dépêche-toi, tout va refroidir (…) Reviens avant que je m'en aille".
La servante du Seigneur Jean-Louis Fournier (Stock - 150 pages - 14 Euros)
Extrait
"J'ai fait la connaissance de Monseigneur. Il est habillé en noir, il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth.
Je te l'ai fait remarquer, tu as ri.
On a dîné tous les trois. Quand elle parle, il la regarde avec dévotion. Quoi qu'elle dise, même « passe-moi le sel », Monseigneur est aux anges. Il m'a plusieurs fois dit, au cours du repas, « votre fille est extraordinaire ».
Je n'ai pas besoin de lui pour le savoir. Tu n'es pas comme les autres.
Tu es beaucoup mieux que les autres."
Jean-Louis Fournier a longtemps travaillé pour la télévision, il a notamment réalisé "La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède", avec Pierre Desproges. En 2008, il publie "Où on va, papa ?", un roman dans lequel il raconte son histoire avec ses deux fils handicapés, prix Femina et sujet de polémique. Il a aussi publié en 2011 "Veuf", un roman où il raconte sa vie avec Sylvie, sa compagne pendant 40 ans. Il a aussi écrit et joué pour le théâtre avec "Mon dernier cheveu noir" (2012) et "Tout enfant abandonné sera détruit" (2011).
Jean-Louis Fournier emploie le terme "égaré", utilisé habituellement pour les brebis perdues pour la religion. Sa brebis à lui, sa fille, s'y est perdue. Comme à de nombreuses reprises dans son récit, Jean-Louis Fournier reprend la terminologie religieuse pour s'adresser à sa fille, comme s'il essayait d'être compris en adoptant sa langue. "Pourquoi nous as-tu abandonnés?" demande-t-il à sa fille dans un cri de tristesse mêlé de colère.
L'humour est la politesse du désespoir
Après le récit de la vie de ses deux premiers fils Matthieu et Thomas, handicapés, dans "Où on va papa ?", Jean-Louis Fournier adresse à sa fille cadette ce roman d'un amour paternel déçu. Seule enfant "normale" de l'écrivain, sa fille a pris un chemin qui l'a éloignée de son père. Jean-Louis Fournier évoque dans ce roman la distance qui s'est installée avec sa fille après sa rencontre avec celui qu'il appelle "Monseigneur", et dont on sent qu'il est moyennement sympathique.
Mais les enfants ne nous appartiennent pas. "Elle n'a pas été mise sur terre pour que ma volonté soit faite, pour que je sois heureux", souligne l'écrivain, "L'important c'est quelle soit heureuse. Est-ce qu'elle est heureuse?" s'interroge Jean-Louis Fournier. Entre les lignes sa colère, sa tristesse, et la nostalgie d'un temps passé heureux, celui de l'enfance de sa fille. "Tu étais notre lumière, après tellement de ténèbres", lui dit-il.
En s'adressant à sa fille, Jean-Louis Fournier parle aussi de lui-même
Sa vision du monde et des hommes, son allergie à la raideur des dogmes et à la "monophonie", et une tentative d'introspection pour comprendre ce qui a pu pousser sa fille dans les retranchements d'une vie soumise et étriquée, où l'amour a disparu. Pour dire tout cela, Jean-Louis Fournier recourt comme à son habitude à l'humour, cette "politesse du désespoir" qu'affectionnait tant son complice Pierre Desproges.
Son chant, qui alterne le "elle" et le "tu", s'achève sur une invitation: "Quand rentres-tu? Je t'ai préparé un très bon goûter, avec tout ce que tu aimes. J'ai choisi des fruits rares. J'ai mis sur la table une nappe brodée, des petits couverts à dessert en argent, des assiettes du XVIIIe peintes à la main. Des carafes en cristal taillé, des jus de fruits de toutes les couleurs, une chocolatière qui fume, des brioches tièdes. Encore de la brioche… Quand rentres-tu? Dépêche-toi, tout va refroidir (…) Reviens avant que je m'en aille".
La servante du Seigneur Jean-Louis Fournier (Stock - 150 pages - 14 Euros)
Extrait
"J'ai fait la connaissance de Monseigneur. Il est habillé en noir, il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth.
Je te l'ai fait remarquer, tu as ri.
On a dîné tous les trois. Quand elle parle, il la regarde avec dévotion. Quoi qu'elle dise, même « passe-moi le sel », Monseigneur est aux anges. Il m'a plusieurs fois dit, au cours du repas, « votre fille est extraordinaire ».
Je n'ai pas besoin de lui pour le savoir. Tu n'es pas comme les autres.
Tu es beaucoup mieux que les autres."
Jean-Louis Fournier a longtemps travaillé pour la télévision, il a notamment réalisé "La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède", avec Pierre Desproges. En 2008, il publie "Où on va, papa ?", un roman dans lequel il raconte son histoire avec ses deux fils handicapés, prix Femina et sujet de polémique. Il a aussi publié en 2011 "Veuf", un roman où il raconte sa vie avec Sylvie, sa compagne pendant 40 ans. Il a aussi écrit et joué pour le théâtre avec "Mon dernier cheveu noir" (2012) et "Tout enfant abandonné sera détruit" (2011).
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