"Des amis": premier roman nord-coréen publié en Europe
Face à un tel livre, la curiosité du lecteur occidental risque de l’emporter sur l’attention portée au talent intrinsèque de l’écrivain, Baek Nam-Ryong. D’autant que ce dernier entrouvre la porte sur la vie quotidienne d’un pays quasi-inconnu. Autre risque pour ce roman venu de la mystérieuse Corée du Nord communiste : celui d’être un simple ouvrage de propagande. Il n’y échappe pas totalement. Pour autant, il convient de le replacer dans le contexte d’une
« tradition confucéenne » qui marque encore de son empreinte la société coréenne, comme le rappelle le traducteur Patrick Maurus. Tradition selon laquelle l’écriture, comme les autres formes d’expression artistique, se doit d’« enseigner la vertu ».
Ce faisant, en évoluant entre propagande et confucianisme, on finit par oublier que le livre a une vraie dimension littéraire… Au fait, de quoi parle « Les amis » ? Un tourneur, Sok-Chun, et sa femme, Chai Soon-Hwi, une ancienne ouvrière devenue chanteuse, s’apprêtent à divorcer. Mais en Corée du Nord, « le problème du divorce n’est pas un problème privé, ni un problème administratif (…). C’est un problème social et politique » qui provoque un trouble à l’ordre social, écrit Baek Nam-Ryong. Le couple doit donc passer devant un juge qui statuera après avoir fait une enquête.
Le magistrat, Jong Jin-Woo, un « travailleur juridique » honnête et humain, veut comprendre comment les deux époux en sont arrivés là. Il se rend à leur domicile et sur leur lieu de travail. La première fois qu’il arrive chez eux, il découvre leur petit garçon attendant sous la pluie que ses parents rentrent. Il n’hésite pas à le recueillir…
Au-delà, les recherches du juge constituent une enquête sur la société nord-coréenne. Car, explique in fine l’écrivain, si le divorce est un acte social, la société a forcément sa part de responsabilité dans la mésentente du couple. Baek Nam-Ryong en profite pour dénoncer les comportements de certains cadres, indignes du système socialiste. Une critique politique qui lui a valu quelques ennuis avec le régime…
Une langue très poétique
Ce faisant, on passe continuellement du collectif à l’intime. Son observation des relations entre les deux époux renvoie Jong Jin-Woo aux difficultés de son propre couple. L’auteur décrit ainsi le cheminement psychologique du juge, ses doutes, comme il fait pénétrer le lecteur dans les tourments des autres personnages. Des descriptions qui sonnent souvent assez justes.
Dans le même temps, le texte est servi par une langue très poétique qui fait souvent référence à la nature. Poésie qui n’est pas sans rappeler la légèreté de certaines gravures asiatiques anciennes. D’où l’étonnement de trouver, au détour d’une phrase, une expression triviale du genre « un bombardement des salauds d’Américains », évidente allusion à la guerre de Corée (1950)…
Mais répétons-le: si le livre de Baek Nam-Ryong contribue à la propagande du régime en place, il s’agit d’abord d’une œuvre littéraire. Une œuvre agréablement traduite et que l’on a beaucoup de plaisir à lire. On attend avec intérêt la publication d’autres ouvrages du même auteur ou d’autres écrivains nord-coréens.
« Des amis » de Baek Nam-Ryong, traduit par Patrick Maurus et Yang Jung-Hee, Actes Sud, 21,80 euros
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