"Demain Berlin" : le techno-spleen d'Oscar Coop-Phane
Armand, Tobias et Franz ont à peine 20 ans. Chacun son histoire, chacun déjà quelque chose à fuir. Leurs destins se croisent à Berlin. Tobias a eu une enfance qui a "le tragique des faits divers" ("Son oncle l'a déchiré ; des années de souffrance que personne ne voulait croire"). "Il aurait pu choisir les livres ou la musique. Il a choisi les stupéfiants." Il aime Victor. Victor lui donne la "grippe" (VIH).
"Armand est sympathique", dandy des temps modernes et des ambitions de peintre, "il est plutôt beau. Il a quatre mobylettes" et a quitté sa mère à 16 ans pour vivre avec Emma, "qu'il aimait, comme il le disait, plus que la vie. Il le croyait sincèrement."
Franz est encore dans le ventre de sa mère quand son père meurt brutalement. "La mère est triste. Elle élève Franz comme la seule chose qu'il lui reste." La mère trouve une place de gouvernante dans une famille où la fille de la maison, Katherine, a le même âge que Franz. Ils s'aiment. Quand sa mère meurt, Franz est envoyé en pension. A son retour, Katherine est sur le point d'en épouser un autre.
"Il y a à Berlin quelque chose de neuf qui vous effraie."
Nouvelle vie, nouveau départ. Les trois garçons ont choisi Berlin pour tourner chacun une page, à la recherche d'un bonheur qu'ils ont entrevu et perdu. C'est là qu'ils se rencontrent, dans cette ville où "la beauté frétille entre les personnes et dans leur façon de vivre, et non comme à Paris, sur les façades, au-dessus des trottoirs."
Berlin, la ville des boites à "druffis", de la défonce et du sexe brutal, des nuits qui durent plusieurs jours. Les trois personnages cherchent dans l'exil la possibilité d'une île, la promesse d'une vie nouvelle, d'un avenir meilleur. Tobias tente d'y noyer son passé d'enfant martyre, Armand cherche une vie de bohème qui pourrait faire de lui un artiste, Franz veut prendre une revanche sociale. Ils se jettent à corps perdu (c'est le cas de le dire) dans une vie de fête à outrance, de "jouissances synthétiques et démesurées" et cèdent sans retenue à ce "désir d'aventure" où ils se sentent vivre enfin "un peu plus fort".
Les lendemains qui déchantent
Jusqu'au moment où. Le moment où l'on sent que tout cela "tourne et qu'on ne peut plus rien attraper d'autre qu'une grosse mélancolie un peu jaune". "Demain Berlin" démantèle l'illusion en décrivant jusqu'à l'overdose l'envers du décor, la solitude ultime, la vanité des élans. L'exil ne sert à rien, ni dans les villes inconnues, ni dans les paradis artificiels. Impossible redite : l'esprit de la "beat generation" s'est dissous dans la masse.
Ce deuxième roman d'Oscar Coop-phane (24 ans) possède les qualités de sa jeunesse, et aussi ses défauts : des fulgurances dans un récit fougueux, parfois brouillon, trois personnages principaux quand chacun d'entre eux pourrait à lui seul suffire à nourrir un seul livre. Vendu comme le roman d'une génération, "Demain Berlin" ressemble plutôt à celui d'une jeunesse qui ne se satisfait pas de son temps (celui des textos, des réseaux sociaux, des open spaces), ce monde sans conviction, privé de poésie. "Alors pourquoi ne se drogueraient-ils pas puisque l'existence est si fade ? Ils le choisissent, mais peut-on leur en vouloir de fuir les néons des bureaux et les coupons de tickets restaurants."
Oscar Coop-Phane, avec ses personnages perdus, aspire à une forme de romantisme disparu, celui des artistes maudits, des paradis artificiels, de la quête désespérée du bonheur. "Demain Berlin" est un livre sur les gouffres, ces espaces vertigineux où Armand (Oscar ?) espère trouver l'inspiration, à l'image des auteurs qu'il admire. Il lui faudra pourtant "être de son époque", "peindre ce qu'il connaît", "s'abandonner à la modernité", sortir de ses modèles, lâcher la nostalgie et "trouver un peu de poésie dans ce foutoir."
Demain Berlin Oscar Coop-Phane (Finitude)
176 pages – 16 €
[ EXTRAIT ]
"Armand rente seul du Berghain. Ça doit faire trente heures qu'il n'a pas dormi. Il se souvient que Sigried lui a offert son cul dans les toilettes du Panorama. Il se souvient aussi de cette fille brune au Golden Gate. Il n'est pas fatigué. Il n'a pas faim. Il rentre simplement puisque la soirée a assez duré. Il pense à cette phrase de Goodis qu'il caresse entre ses paumes, à un moment ça devient si moche qu'on a envie de tout arrêter. La soirée commençait à s'enlaidir, Armand a senti que tout tournait, qu'il ne pourrait plus rien attraper d'autre qu'une grosse mélancolie un peu jaune, qu'il fallait qu'il s'en aille, qu'il rentre se coucher."
Oscar Coop-Phane (Source : éditions Finitude) Oscar Coop-Phane est né en 1988. Petit-fils d'espion, il vit une enfance classique ("divorce parental, gamelles en vélo, Miel Pops le matin") et quitte le domicile maternel à 16 ans pour vivre avec une fille dont il est amoureux. Après hypokâgne et khâgne option philo, il arrête les études. Petits boulots et lecture au programme : Bove, Calet, Calaferte, Dabit, Céline... A vingt ans, il part à Berlin où il écrit, lit Proust et traîne ses guêtres sur la scène techno. Il écrit "Zénith-Hôtel", le quotidien d’une prostituée parisienne. En rentrant à Paris, Il travaille la nuit comme barman et consacre ses journées à l'écriture. Il a obtenu le Prix de Flore 2012 pour "Zénith-Hôtel", son premier roman, paru aux éditions Finitude.
Réécouter Oscar Coop-Phane sur France Culture (18 janvier 2013/Pas la peine de crier)
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