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"Bois Sauvage", la misère américaine dans l'œil du cyclone Katrina

Un compte à rebours de 10 jours avant le passage de la tempête Katrina sur un village du Mississipi. "Bois sauvage", deuxième roman de la jeune américaine Jesmy Ward, a reçu aux États-Unis le prestigieux National Book Award 2011.
Article rédigé par franceinfo - Laurence Houot-Remy
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Temps de lecture : 4min
Jesmyn Ward, auteur de "Bois sauvage", National Book award 2011. En librairie le 23 oaût 2012
 ( Tina Fineberg/NBC/AP/SIPA)

Bois Sauvage, ville imaginaire du Golfe du Mexique. La Fosse, une mare dans une clairière. Mississipi, le Sud. L'Amérique noire et pauvre. 2005. Voilà pour le décor.

"Y a plus que nous et papa, China, les poules, et un cochon quand il a de l'argent" dit Esch. Sa mère est morte en accouchant du dernier, Junior. Esch vit avec ses trois frères et son père, qui boit beaucoup trop pour oublier que sa femme est morte. Randall, l'aîné, s'entraîne au basket pour décrocher une bourse sportive. Skeet, le second, est obsédé par China, sa chienne Pitbull qui vient de mettre bas. Le petit dernier, Junior traîne dans les pattes des plus grands en quémandant un peu d'attention.

Esch, seule fille de cette tribu perdue, se réfugie dans les souvenirs de douceur de sa mère disparue, et dans la mythologie grecque, qui entre en résonnance avec son quotidien tragique. Elle ne sait pas quoi faire avec son corps qui grandit. Couche avec tous les copains de ses frères, parce que c'est plus facile de le faire que de dire non. Mais son cœur bat pour Manny, gueule cassée du secteur, et dont elle est enceinte. Elle a 14 ans.

La tempête Katrina a tué près de 2000 personnes.
 (Marianne Todd/GettyImages/AFP)
Là-dessus (et c'est déjà pas mal) s'annonce une gigantesque tempête (Katrina), qui fonce sur ce petit monde en équilibre instable. Que va faire l'ouragan? Finir de détruire ce qui ne l'est pas encore ou opérer un grand nettoyage rédempteur ? Il faut lire ce livre bouleversant. Ecrit avec chair. Où la Nature -humaine, animale, céleste- crache sa puissance.

On peut facilement trouver des cousinages à cette jeune auteur américaine (35 ans) dans la littérature américaine du Sud (Faulkner). Mais ce qui frappe, c'est un style direct, charnel, qui donne à ce livre une dimension suspendue entre naturalisme et lyrisme. Elle réussit merveilleusement à décrire un monde brutal, où se nichent malgré tout tendresse et humanité. Au fil des pages, on s'attache viscéralement à Esch, adolescente pleine de vie, courageuse, intelligente, et à sa tribu déglinguée.

Jesmyn Ward a reçu pour ce magnifique roman (son deuxième), le prestigieux Book Award 2011. Son premier livre, "Where the line Bleeds", paraîtra chez Belfond en 2013.

Bois sauvage
Jesmyn Ward, traduit de l'américain par Jean-Luc Piningre
Belfond / Littérature Etrangère / Août 2012

352 p. / 19,50 €

[EXTRAIT]

"CHINA SE BAT CONTRE ELLE-MÊME. Si je savais pas, je croirais qu'elle veut manger ses pattes. Et qu'elle est folle. Ça, c'est un peu vrai. À part Skeet, elle laisse personne la toucher. Quand elle était bébé, avec sa grosse tête de pitbull, elle volait toutes les chaussures de la maison. Les tennis que maman nous achetait, noires pour pas qu'elles salissent trop vite, celles qui gardent leurs formes si on les brosse pas. Maman a pas eu de bol avec ses vieilles sandales plates, oubliées dans un coin, tellement pleines de terre rouge qu'elles étaient roses. On les reconnaissait plus. China cachait toutes nos pompes sous les meubles, derrière les toilettes, elle en faisait des tas et elle dormait dessus. Dès qu'elle a pu trotter, elle descendait le perron pour les planquer dans les rigoles. Impossible de lui reprendre : autant déraciner un arbre. Aujourd'hui, elle vole plus, elle donne, elle va nous faire des petits.
C'est rien comparé à ce qu'a souffert maman en accouchant de Junior. Comme nous, il a vu le jour dans la chambre des parents, au milieu de la clairière que son père a créée de ses mains avant de nous construire notre maison. On l'appelle maintenant la Fosse. J'avais huit ans, je suis la seule fille de la famille, et j'avais rien pu faire. Papa dit que maman voulait pas qu'on l'aide, que Randall et moi étions sortis vite, sous l'ampoule nue au-dessus du lit, alors elle pensait que ça serait pareil avec Junior, mais elle se trompait. Elle est restée accroupie à hurler jusqu'au bout. Junior est né violet comme un hortensia : la dernière fleur de sa vie. Quand papa lui a montré, maman l'a effleuré du bout des doigts, comme si elle avait peur de la flétrir, sa fleur, d'éparpiller le pollen. Elle refusait d'aller à l'hôpital. Papa l'a portée jusqu'à la voiture, le sang coulait à ses pieds, on l'a jamais revue."
 

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