Pourquoi faut-il lire les auteurs du Brésil ? Les réponses de Luiz Ruffato au Salon du Livre
On le retrouve sur le stand Métaillé, son éditeur français, une maison qui compte nombre d'auteurs brésiliens à son catalogue. Luiz Ruffato est un romancier brésilien né en 1961. Il publie ces jours-ci aux éditions Chandeigne "A Lisbonne j'ai pensé à toi", et aussi l'introduction d'une anthologie publiée par Métaillé, "Brésil 25, 2000-2015", qui réunit des extraits d'une vingtaine de romans de la littérature brésilienne contemporaine, une littérature qui parle du pays. (Entretien traduit par Lise Belperron, éditrice aux éditions Métaillé).
Une littérature de l'après-dictature
"Cette anthologie est une réflexion autour de la période démocratique brésilienne. L'idée était de réunir des auteurs de tous âges, de toutes origines sociales, des hommes, des femmes, originaires de toutes les régions du pays.", explique-t-il. "Mais ce sont principalement des gens issus des classes moyennes et supérieures qui font la littérature du Brésil aujourd'hui, donc même si on a essayé de montrer toutes les facettes du Brésil, la littérature n'offre pas une vision globale de la réalité du Brésil. Il manque notamment le point de vue des périphéries, le rapport avec les cultures périurbaines, et aussi la question agraire et des Indiens, très complexe au Brésil".
Une littérature urbaine, jeune et énergique
Ce qui réunit les auteurs, c'est que la littérature brésilienne aujourd'hui est essentiellement urbaine, ce qui reflète une réalité : 80 % de la population vit en ville. Ce qu'on retrouve aussi dans cette littérature, c'est "une quête d'identité, à ne pas confondre avec la question du nationalisme", explique Luiz Ruffato. "Ce qui le réunit aussi, c'est leurs différences ! Ce manque d'unité justement, qui est le reflet de la complexité de la réalité brésilienne. Mais en tous cas, cette anthologie offre au lecteur le contraire d'une vision exotique, d'un Brésil archaïque et rural".
Le Brésil est un pays jeune, et donc sa littérature l'est aussi. C'est une littérature jeune, dans un pays jeune. Et il y a aussi la démocratie, qui dure depuis trente ans. C'est la période démocratique la plus longue de toute son histoire. Et je pense que c'est aussi pour cela qu'il y a cette énergie, cette fraîcheur dans la vision du monde. Je ne sais pas si on fait la meilleure littérature du monde, mais en tous cas on fait une littérature très diversifiée", explique l'écrivain.
Une littérature ancrée dans le réalisme
"Le réalisme est une caractéristique constante dans toute l'histoire de la littérature brésilienne", explique Luiz Ruffato. "On peut expliquer cela peut-être par une volonté de s'emparer d'une réalité qui nous échappe. C'est la grande histoire de notre pays : le Brésil est une réalité très difficile à percevoir", poursuit le romancier. "Il y a d'abord une grande diversité des paysages et des populations".
"Pour bien comprendre ce phénomène, il faut revenir sur une approche anthropologique". Luiz Ruffato résume les chocs que le pays a connu au cours de son histoire : le premier avec la colonisation par les Portugais. Cette première rencontre a provoqué le génocide des Indiens. Ensuite, l'arrivée des esclaves venus d'Afrique. Et enfin, un troisième moment traumatique avec l'immigration d'Européens et de Japonais qui ont débarqué au Brésil à la fin du XIXe siècle. Et enfin un dernier épisode violent : l'industrialisation brutale qui a conduit aux déplacements massifs des populations du Nord-Est vers les grandes villes.
"Vous imaginez la complexité de ce pays où cohabitent des gens qui vivent dans un Brésil du XVIe siècle et d'autres dans le Brésil du XXIe siècle. Dans la même ville, Sao Paulo, il y a des quartiers plus chics et riches que les plus chics quartier parisiens, et des villages misérables", explique Luiz Ruffato. "C'est la question qui traverse la littérature brésilienne : essayer de s'emparer d'une réalité qui nous échappe. Tout cela vient de l'absence d'identification entre les habitants et l'idée du Brésil. C'est un peu comme vivre dans un endroit sans se sentir de cet endroit", insiste le romancier.
"L'enfer et le paradis dans un même lieu"
La littérature contemporaine brésilienne est celle de l'après-dictature. "Elle dresse le portrait de l'imaginaire d'un pays contradictoire et paradoxal, qui émerge sur la scène internationale comme puissance politique et économique, et comme synonyme de corruption, violence urbaine et misère – dans cette périphérie du monde le paradis et l'enfer occupent le même lieu", explique Luiz Ruffato.
"Ce que ne comprennent toujours pas les Brésiliens, et que les étrangers s'efforcent aussi de comprendre sans jamais y arriver, c'est que le Brésil est à la fois le meilleur et le pire pays du monde", ajoute le romancier. "On a hérité d'un pays tellement beau, on en ressent une culpabilité telle qu'on fait tout pour le détruire. Un très étrange complexe de culpabilité…"
"Une possibilité de mieux comprendre le monde"
"Une possibilité de mieux comprendre le monde", voilà ce que répond Luiz Ruffato quand on lui demande pourquoi il faut lire la littérature et les auteurs brésiliens. "Connaître la littérature brésilienne, c'est connaître le Brésil. Et aujourd'hui, malgré tout ce qu'on peut dire ici ou la, le Brésil n'est pas un pays que l'on peut ignorer sur la scène internationale. Donc la littérature est une très bonne entrée pour commencer à comprendre ou en tous cas donner des éléments pour comprendre le Brésil". Si on lui demande de citer des auteurs avec lesquels entrer dans la littérature brésilienne, il n'en nomme qu'un : Machado de Assis (1839-1908), un auteur de la fin de XIXe siècle, dont l'œuvre est rééditée en poche chez Métaillé. "Un génie", conclut-il.
Il reste deux jours pour découvrir cette riche littérature au programme du 35e Salon du Livre à la Porte de Versailles.
Brésil 2000-2015, présentation et organisation Luiz Ruffato (Métaillé - 300 pages - 12 euros)
A lire aussi :
À Lisbonne j'ai pensé à toi Luiz Ruffato, traduit du portugais (Brésil) par Matthieu Dosse (Editions Chandeigne - 106 pages - 16 euros)
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