"Molécules" : un polar décalé et ludique signé François Bégaudeau
Avec ce nouveau roman, François Bégaudeau, auteur touche à tout d'"Entre les murs" (Verticales, 2006), revisite le genre policier : on y retrouve les codes et les typologies de personnages, mais décalés. Même le suspense s'invite quand on ne l'attend plus.
Le romancier s'amuse à baptiser ses personnages avec toutes sortes de noms empruntés aux grandes affaires criminelles (un docteur Romand en expert médico-psychologique, une Marie-Cécile Agnelet en présidente de tribunal … ) ou à des émissions cultes appartenant au même genre (le meurtrier s'appelle Bourrel, comme le commissaire de la série les Cinq dernières minutes…). C'est un peu gros, mais c'est ludique.
"Et la voix ? Où part la voix quand tout se consume"
En parallèle de l'enquête décrite avec une précision de légiste, Bégaudeau questionne le lecteur sur la mort, que le mari et la fille de la victime doivent affronter. Un gouffre de mystère et de douleur. Pendant que le corps de sa mère se dissout dans les flammes de l'incinération, Léna s'interroge :"Où partent les pensées les sentiments ? Maman aimait les sorbets au cassis, ça part où ? Son rêve de camping-car ? Papa disait : trop encombrant. Maman : au contraire on bivouaque où on veut. La discussion revenait souvent, que soldait un silence plus ou moins lourd. Le souvenir de cette discorde brûlera en même temps que le foie et les yeux. Les yeux brûlent sans douleur. Et la langue sans cri. Et la voix ? Où part la voix quand tout se consume ? Son timbre voilé, fluet."
"Molécules, page 57Ces interrogations métaphysiques et tragiques n'alourdissent pas un récit déroulé par petits épisodes, scénettes construites en escalier, et émaillées de gags. Le ton est clairement installé dans l'ironie et l'humour noir, la langue travaillée à la manière des "Exercices de style" de Queneau.
Habité par des personnages bien dessinés et rythmé par des dialogues sautillants, "Molécules" est un roman distrayant de cette rentrée 2016. L'auteur signe également le scénario de "Wonder" (Delcourt, septembre 2016), une BD qui raconte l'émancipation d'une jeune ouvrière en pleine révolution de mai 68.
"Molécules", François Bégaudeau (Verticales – 250 pages – 19,50 €)
Extrait :
"Le photographe s'accroupit pour cadrer serré Jeanne Deligny. Les trois premiers clichés le laissent insatisfait. L'angle optimal se cherche encore. Pourtant les visages c'est ce qu'il préfère shooter. Il n'a pas déjeuné, c'est sa faim qui le déconcentre. Il s'écarte pour que le capitaine Brun examine de près la plaie béante au cou et les joues lacérées. À première vue, trois fois une joue, deux fois l'autre. À confirmer. Un sillon monte jusqu'à la tempe, un second balafre le front. Sans cela elle serait jolie. L'était il y a une heure. L'est encore malgré les yeux exorbités de qui s'est vu mourir."
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