Les romans d'Olmi et Carlier ? Deux vibrantes déclarations d'amour au théâtre
"Il y a la scène et la salle", dit un des personnages de "L'Echange" (Paul Claudel), pour expliquer ce qu'est le théâtre. Il y a la scène et la vie, cette fausse dichotomie, semblent répondre, en ce mois de janvier, les romanciers Véronique Olmi et Christophe Carlier.
Dans "J'aimais mieux quand c'était toi", la première fait de son héroïne une comédienne. Tous les soirs, Nelly, la narratrice, joue cette "Mère qui porte la douleur comme d'autres portent la vie ou le pardon" dans "Six personnages en quête d'auteur", de Pirandello. Tous les après-midi, un même trac lui tord le ventre. Jusqu'au jour où elle reconnaît dans un des spectateurs un ex-amant. Il lui fait perdre "non pas la tête, non pas la raison ni le sens commun, mais la ligne même de (sa) vie".
La force vitale du théâtre
La passion amoureuse est-elle donc le sujet central de ce court livre de 130 pages qui coule de source et se lit d'une traite, comme tous ceux de la romancière ? C'est une interprétation possible, renforcée ça et là par des accents empruntés à Marguerite Duras ("c'est à devenir folle, celle que j'étais dans cette innocence totale de l'enfant. C'est pareil pour un amour").
Préférons-en une autre : l'interrogation sur la force vitale du théâtre. Où est le réel, où est l'illusion ? Dans la vie quotidienne ou dans ce qui se joue sur scène ? Et l'actrice d'épier, dans un salon de thé parisien, les femmes qui l'entourent. Leurs gestes, spontanés ou étudiés. Leurs excès ou leur retenue. Le spectacle qu'elles offrent.
La narratrice "observe, apprend". Dans l'attente de ce moment où elle sera, d'un bloc, la mère folle de douleur du dramaturge italien. Où elle deviendra cette actrice "omnipotente", "dure", "hystérique", sans limite", "élue pour être là ce soir, et dire les mots". Et cette "énergie nucléaire" qui anime la narratrice, et que l'auteure décrit en dramaturge, c'est celle qui porte et enflamme le roman.
Les ressorts si peu sérieux de nos vies
Théâtre encore dans "Singuliers", le roman de Christophe Carlier. Pas de héros proprement dit, mais une galerie de personnages. Acteurs, spectateurs, ouvreuses, tous liés par un fil invisible, celui d'une soirée à la Comédie Française. On y joue Corneille, pas celui -tragique- du Cid mais celui -registre comique- du Menteur (dont cette vidéo donne un avant-goût).
Moins tragique qu'Olmi, le malicieux romancier choisit, tout autant, d'insister sur les ressorts si peu sérieux de nos existences. L'obscénité tranquille des infos, robinet d'horreurs agencé en feuilleton, autant dire en fiction (sinon, comment pourrions-nous vivre ?). L'intitulé farcesque des jobs, tel ce spectateur dépeint en chef de projets ("quels projets?" s'interroge un comparse), ou telle autre en "gestionnaire de produits" ("quels produits?").
Avec sa gaieté habituelle, Christophe Carlier dévoile l'absurdité de ce qui nous meut, et les injonctions insensées de ceux qui commandent -parfois- à nos vies. Il démasque tous ces ennuyeux, et jusqu'aux élèves emmenés sans enthousiasme au spectacle. Tous ces gens-là, "comment admettraient-ils que la jeunesse du Menteur porte en elle plus de sève et de gaieté que la leur ?"
"J'aimais mieux quand c'était toi" de Véronique Olmi
(Albin Michel, 134 pages, 15 euros)
Extrait : "Je suis une actrice. Je peux vomir entre deux répliques. Chier en vitesse en coulisse. Pisser dans une poubelle et revenir. Je peux tousser intérieurement. Souffrir sans le sentir. Etre endeuillée. Droguée. Enfiévrée. Dévastée. Saccagée. J'existe encore.
J'existe toujours !"
"Singuliers", de Christophe Carlier
(Phébus, 121 pages, 13 euros)
Extrait : "Un changement de logo peut occuper pendant des mois notre service d'autistes de haut niveau. Le fait qu'un problème soit sans réalité n'empêche ni de le poser avec sérieux ni de le résoudre avec difficulté. C'est à quoi mes collègues et moi employons toute notre compétence. Je ne détrompe jamais ceux qui m'assurent que je fais un métier intéressant."
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