"Langue morte" : l'écriture vivante du jeune romancier Hector Mathis pour dire un monde désenchanté
Le jeune romancier Hector Mathis, 28 ans, revient dans cette rentrée littéraire de janvier avec son troisième roman, un récit initiatique construit à rebours.
Après K.O., un premier roman remarqué en 2018, dont il avait donné la suite deux ans plus tard avec Carnaval, on retrouve la gouaille littéraire et hardie d'Hector Mathis avec un troisième roman, Langue morte, qui paraît dans la rentrée littéraire le 6 janvier aux éditions Buchet Chastel.
L'histoire : le narrateur, un jeune homme, est de retour dans la banlieue où il a grandi. Est-ce un rêve? Toujours est-il que ce frottement aux lieux de son enfance amorce pour lui un voyage dans le temps. Le voilà propulsé aux origines, renouant avec les personnages de son enfance : ses parents, son frère, sa grand-mère Mie Joss, son oncle Horace, ses copains...
Il retrouve aussi les décors de ses premières années, sa banlieue, qu'il appelle toujours "la grisâtre", sa chambre d'enfant, mais aussi la maison de sa grand-mère, le camping des vacances avec les copains, et il rejoue les scènes marquantes de son début de vie : ses maladies infantiles, les séances de théâtre, ses premiers émois sexuels, ses premiers voyages, ses premières amours, son dégoût de l'école, ses fringales de mangas, ou encore ses premières pages d'écriture…
Langue vivante
Roman initiatique déroulé à rebours, le récit est passé au crible de la maturité, patiné par le temps. Langue morte est un roman sur le temps qui passe, et sur un monde qui change, allégorie d'une enfance envolée. Mais pas seulement, car aux yeux du narrateur qui s'éveille de son rêve, le monde a vraiment changé. Un monde désenchanté, "sans mystères, sans surprises", dans lequel il est difficile de se consoler de la mort d'une grand-mère.
"Tout se morcelait tranquillement, sans résistance. J'ai cru reconnaître ma grisâtre au loin, le quatre qui se détachait de la barre, basculant sur le flan puis se renversant tout à fait."
"Langue morte"page 252
Comme avec ses deux premiers romans, c'est avant tout avec l'écriture qu'Hector Mathis emporte son lecteur. Une langue dense, d'une apparente oralité, en réalité très travaillée, qui fait cohabiter un vocabulaire gorgé de mots exhumés d'un argot désuet avec des rythmiques aux accents contemporains empruntés au rap, au slam, à cette langue vivante qui court dans les "grisâtres" d'aujourd'hui, essaimant son phrasé chantant (seule consolation dans un monde désenchanté ?) entre les pages de ce troisième roman très réussi d'Hector Mathis.
"Langue morte", d'Hector Mathis (Buchet Chastel, 256 pages, 16 €)
Extrait :
"On a traversé des ronds-points de friture. Dégoulinants le steak et l'huile. Puis je me suis retrouvé dans la galerie marchande à hauteur de caddie. On a passé le tourniquet, comme des bœufs. Au pas. Avec le reste de la viande. Viande acheteuse. En fièvre… Sur le carrelage ça défilait, on entendait les chariots percuter les carreaux. Y avait comme ça rien que des petits cortèges de noyés, la mère derrière poussant les provisions puis les mômes accrochés, pendus, se laissant traîner ou juste glisser… C'était plein de néons clignotants et de vitrines effarantes. De quoi vous rendre épileptique ! Des téléphones, des magazines… De la lingerie coquine et du burger. Ça sentait la javel et le shampoing. En approchant, c'est le bip des caisses qui faisait son apparition. Ça devenait la mélodie principale. On se frôlait dangereusement dans les rayons, chaque cortège à deux doigts de l'empoignade. La tribu tout autour du caddie, groupée comme un bataillon. Bien au-dessus des étagères y avait quelques oiseaux complètement affolés. Ils s'étaient paumés là, savaient plus en sortir." ("Langue morte", page 45)
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