"La fête de l'insignifiance" : Milan Kundera sur les hauteurs
Le dernier livre de Milan Kundera est un roman en sept actes, qui met en scène quatre hommes. Alain est un éternel "excusard" dont la mère s'en est allée quand il est né. Il est obsédé par le nombril comme nouveau centre de la séduction féminine et a pour amie Madeleine, 20 ans. Ramon, flâneur du Luxembourg, adore les femmes et déteste faire la queue. Charles adore raconter les blagues incomprises de Staline. Caliban, acteur sans emploi, joue les serveurs pakistanais (une blague) dans des soirées privées organisées par Charles.
Les quatre amis devisent en parcourant les allées du Luxembourg ou autour d'un verre. Ils semblent libérés de toute quête oppressante (le privilège de l'âge), vivent et contemplent le monde sans se prendre au sérieux. Le narrateur (un cinquième homme) nous fait partager leurs déambulations, échanges et réflexions.
On croise aussi, D'Ardelo, narcissique et grande gueule, hypocondriaque, contrarié par l'avancée de l'âge mais séducteur, et aussi capable de garder un visage joyeux en racontant une histoire funèbre, coiffé au poteau dans une soirée par un autre séducteur, Caquelique, dont l'insignifiance "libère la femme, la rend insouciante et, partant, plus accessible".
"La fête de l'insignifiance" alterne scènettes et récits mettant en scène ces quatre personnages et aussi des figures de feu l'URSS (Staline Khrouchtchev, Kalinine, Molotov…), l'occasion pour le romancier d'évoquer "une époque dont il ne restera plus de traces".
Un morceau d'âme slave, en français dans le texte
Dans ce roman construit en forme de pièce de théâtre, Kundera fait l'éloge de l'insignifiance en écrivant un roman qui ne l'est pas. L'inutilité d'être brillant, la valeur de l'amitié, la quête du bonheur… Autant de questions profondes que l'auteur de "L'insoutenable légèreté de l'être" aborde en apesanteur, à la manière de cette plume suspendue dans les airs que les invités d'une fête observent, figés dans le ralenti de sa chute légère. Kundera, capable de divertir le lecteur avec Kant, Staline ou Schopenhauer.
Si le romancier d'origine tchèque écrit en français (c'est le quatrième roman dans la langue de son pays d'adoption), "La fête de l'insignifiance" est un morceau d'âme slave, mystérieux dosage de mélancolie et de bonheur débordant, où le tragique côtoie sans cesse la farce. "Tout le monde jacasse sur les droits de l'homme. Quelle blague !", souffle le fantôme de sa mère à l'oreille d'Alain. "Les droits que peut avoir un homme ne concernent que des futilités pour lesquelles il n'y a aucune raison de se battre ou d'écrire de fameuses Déclarations!", ajoute le fantôme.
L'auteur de "La plaisanterie" tient son cap. "C'est seulement depuis les hauteurs de l'infinie bonne humeur que tu peux observer au-dessus de toi l'éternelle bêtise des hommes et en rire", nous dit-il, même si son dernier roman est traversé par une forme de mélancolie mêlée de nostalgie. Que reste-t-il aux hommes quand le temps a passé ? Les amis, répond le narrateur, ce "mécréant" pour qui "un seul mot est sacré, l'amitié".
La fête de l'insignifiance Milan Kundera (Gallimard – 144 pages – 15, 90 euros)
Extrait :
"L'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir : dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans des conditions aussi dramatiques et pour l'appeler par son nom. Mais il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, il faut l'aimer l'insignifiance, il faut apprendre à l'aimer."
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