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"L'amour est aveugle" : musique et grands sentiments au programme du dernier roman de William Boyd

Le romancier britannique William Boyd embarque le lecteur dans une épopée téléguidée par l'amour qui d'Edinbourg à Saint-Pétersbourg en passant par Paris, Nice ou Trieste, traverse l'Europe au seuil  du XXe siècle.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le romancier britannique William Boyd (Trevor Leighton C.)

Des aventures, de l'amour, des personnages enflammés et une peinture de l'Europe du XXe siècle naissant, avec L'amour est aveugle (Seuil), paru début mai, le grand conteur britannique William Boyd nous offre un livre d'un pur romantisme.

L'histoire : Edimbourg, 1894, Brodie Moncur, 24 ans, est employé comme accordeur dans la maison Channon & Cie, fameuse entreprise écossaise de fabrication de pianos depuis six générations. En plus d'être un excellent accordeur, le jeune Brodie, ne manque pas d'idées pour donner de l'essor à l'entreprise qui l'a pris sous son aile dès la sortie de l'école, en apprentissage. Il a par exemple pensé à faire de son travail d'accordeur un spectacle en œuvrant dans la vitrine du magasin. Ce travail occupe toute sa vie et lui a permis de quitter la lourde atmosphère de la maison familiale. Six soeurs, un frère, ce triste foyer est soumis, depuis la mort de la mère en couche, à l'emprise d'un père tyrannique, pasteur et alcoolique. 

Loin d'une "vie simple, rude, pieuse"

La vie pourrait continuer ainsi, mais dans le magasin parisien de la maison Channon, ouvert depuis peu et confié à la direction de son fils Calder par Ashley Channon, le patriarche, les affaires ne sont pas aussi bonnes qu'il l'avait espéré. "Les affaires marchent même carrément très mal, entre nous soit dit", confie le vieux patron à son employé. Il propose donc à Brodie de devenir le numéro deux du magasin. "Nous avons besoin de quelqu'un qui ait des idées brillantes", ajoute-t-il comptant bien sur son protégé pour faire face à la concurrence sévère sur le marché européen du piano, en plein essor. Brodie, flatté, saute sur cette occasion de découvrir le Paris de la Belle Époque, et de s'éloigner de la vie "simple, rude, pieuse"  que lui promettait sa naissance dans cette contrée d'Ecosse, et surtout de son abominable père. 

Cette décision lui ouvre les portes d'une vie trépidante, qui lui fait rencontrer les meilleurs pianistes d'Europe, et met sur son chemin Lika, une belle diva russe affublée d'un petit chien que l'on jurerait sorti d'une pièce de Tchekhov. Brodie tombe instantanément amoureux. La belle est mariée au pianiste qu'il accompagne dans ses tournées. Moncur, avec son art de lester les touches du piano, s'est rendu indispensable auprès de ce "Liszt irlandais" souffrant de rhumatismes. La promiscuité avec le couple facilite autant qu'elle ne complique son idylle avec la belle cantatrice. Cette rencontre foudroyante pilotera jusqu'au bout son destin.

Coups de théâtre sur scène, et en coulisses

William Boyd déploie tout son talent de conteur pour embarquer dans cette aventure le lecteur, qui vit au rythme de la passion du jeune Brodie. Le romancier nous installe fermement du côté de son héros, nous laissant deviner ce qui se trame en coulisses, et que Brodie ne voit pas, ou qu'il ne veut pas voir, aveuglé qu'il est par sa passion. C'est palpitant, drôle et tragique à la fois, et derrière cette aventure pleine de rebondissements, se dessine le portrait d'une Europe en pleine mutation, au seuil des grands bouleversements du XXe siècle qui l'attend, et qui s'achève à l'autre bout du monde, dans les îles Andaman au large des côtes indiennes, en compagnie d'une femme anthropologue et indépendante, incarnant l'émancipation, à venir, de la femme.

De sa vive écriture, William Boyd décrit aussi bien la mécanique d'un piano que la mélancolie d'une modulation musicale, les paysages de l'Ecosse ou encore les sentiments de ses personnages. Le romancier s'amuse avec les clichés du genre et les échos entre la musique et les transports amoureux. En mettant en scène ce roman comme une pièce de théâtre, ses coulisses, ses coups de théâtre et sa dramaturgie, l'auteur de Un Anglais sous les tropiques (1981) et plus récemment de Solo, (2014), la suite des aventures de James Bond, offre un roman parfait à emporter dans ses bagages pour les prochaines vacances.

Couverture "L'amour est aveugle", William Boyd (ÉDITIONS DU SEUIL)

L'amour est aveugle. Le ravissement de Brodie Moncur de William Boyd. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin (Seuil – 496 pages - 22 €)

Extrait :

"Voilà, c'est ce passage-là, dit-elle. Cette modulation. Entre le troisième et le quatrième vers.
- Qu'a dit John déjà ? Qu'on s'attend à une sorte d'affirmation…
- La tonique.
- Et qu'on se retrouve avec un autre accord. L'accord inattendu. bémol mineur neuvième.
"C'est ce qui donne de la tristesse, confirma-t-elle. C'est pour ça qu'on a les larmes aux yeux. Et l'histoire est triste aussi, mais vraie. Tristement vraie.
- La vie est triste, murmura-t-elle d'un ton pensif. Et compliquée."
Il percevait de la chaleur sur sa gauche, où elle était assise à quelques centimètres de lui, comme si une force électrique ou magnétique émanait d'elle, similaire à ces rayons X dont il avait découvert l'existence dans le journal. Jamais il n'avait été si près d'elle si longtemps, hormis lors de cette promenade au bord du lac de Genève, quand elle lui avait pris le bras et qu'il avait senti la tiédeur de sa paume dans le creux de son coude."

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