Félicité Herzog écorne le mythe du héros de l'Annapurna : un héros XXL ?
Maurice Herzog, le type même de ce héros français, brillant dans ses entreprises, admiré, adulé, envié et toujours pardonné pour peu que ses efforts puissent servir le drapeau tricolore. Résistant, ministre de De Gaulle, homme d'affaires, il fut surtout vainqueur de l'Annapurna, 1er sommet de plus de 8.000 m. en 1950. Ce qui le fit entrer dans la légende par le biais d'une célébrissime couverture de Paris-Match.
A un tel homme, ne pouvait qu'être promis à une femme d'exception. Ce sera Marie-Pierre de Cossé-Brissac, héritière de la famille Schneider, fondatrice des Forges du Creusot. L'acier lui mit cuillère d'or en bouche, force et résistance en l'esprit. C'est dire que la compromission n'était pas invitée à table. Elle épousera en premières noces Simon Nora, autre esprit brillant, résistant mais juif. Ce qui, dans une famille dont certains membres connaîtront la prison à la Libération pour collaboration, n'est pas perçu comme du meilleur goût. Pour elle, comme pour Maurice Herzog, ce mariage arrive donc comme une Rédemption.
Cette histoire pourrait s'arrêter là et ravir les lectrices de « La Veillée des Chaumières » si Maurice, comme toute montagne élevée, n'avait lui aussi, son ubac, sa part d'ombre. Atteint de donjuanisme compulsif, comme l'écrit sa fille, il fut connu pour une conquête verticale, lui qui multipliait les conquêtes « horizontales ».
Et cet « Annapurna, 1er 8.000 » qui lui valu la notoriété mondiale, fut-il réellement atteint? On sait depuis 1950, que Louis Lachenal, l'un de guides de l'expédition, ne l'accompagna pas au sommet. Alors cette photo, réelle (mais qui l'a prise?) ou bidonnée ? Félicité ravive le doute et précise même que son père récupéra à son profit la totalité des droits écrits et cinématographiques de l'aventure. Ensuite de quoi, il passa sa vie à entretenir sa propre légende et à la faire briller par tous les moyens, les femmes qu'ils séduisait n'étant pas les dernières à devoir « faire reluire » l'image du grand homme...
Un tel personnage ne pouvait être bien sûr que piètre mari mais surtout piètre père.
Aujourd'hui analyste financier dans une banque internationale entre New York et Londres, Félicité, la quarantaine passée, lâche soudain un cri de petite fille : « Mon père ne m'a jamais dit : ma chérie ! en me prenant dans ses bras».
Elle qui passait ses vacances dans des châteaux qu'elle décrit avec une simplicité touchante, ne rêvait au fond que d'être une petite fille puis une ado comme les autres.
Si l'histoire de Félicité est celle d'un manque, elle est aussi celle d'une absence : celle de son frère, Laurent, décédé en 1999, après avoir sombré dans les abysses de la folie, faute d'avoir pu accéder dans sa vie à un but aussi élevé que l'Annapurna de ce père à l'image si lourde à porter.
Comme tous les sommets de l'Himalaya, l'Annapurna n'a pas fini de faire des victimes. Et les récits qui racontent ces exploits sont toujours d'aussi passionnants romans d'aventures, fussent-elles intérieures. Comme ce « héros » de Félicité Herzog...
« Un héros », de Félicité Herzog, éd. Grasset, 302 pages, 18 euros
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