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"Faux nègres" : Beistingel suggère Rimbaud pour terrasser l'extrême-droite

Jolie surprise que ce "Faux nègres" virevoltant et virtuose, qui multiplie les clins d’œil au lecteur à la Diderot. L'intrigue ? Un journaliste improvisé enquête dans le village qui a donné son score maximal à une candidate nationaliste à la présidentielle. Il ne saura pas pourquoi les habitants votent à l'extrême-droite, mais tissera le roman de ce village qui s'éteint.
Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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La romancière Tina Merandon
 (Tina Merandon)
Pour offrir un boulot temporaire à Pierre, à qui il doit un service, le rédacteur en chef d'un journal l'envoie dans le village qui a le plus voté pour une candidate (non nommée) à l'élection présidentielle, "à mèche raide".

La mission de cet homme plus tout jeune, revenu de vingt ans passés en Orient : poser aux habitants, aux autorités, à tout le monde "une question et une seule : 'pourquoi les gens d'ici votent à l'extrême-droite ?'"
 
Flanqué d'un aveugle comme preneur de son (pour les interviews), Pierre va donc découvrir le bourg. Son gîte unique. Sa ferme. Son église qui ne sert plus que pour des enterrements expédiés à la va-vite. 

Il verra aussi son troquet où c'est "alcool obligatoire". "Comme ça ils ne viennent pas", précise le patron à qui n'aurait pas compris. Et d'ajouter, après un coup d'oeil aux quatre ouvriers qui travaillent dehors: "nous ont met du cochon partout comme ça pas de problèmes on est pas emmerdés". 

"Les romans ne répondent jamais aux questions".
 
Consciencieux, Pierre va poser sa question. Au maire. A Jean, le fermier septuagénaire. A la femme à "allure de "musaraigne" qui entretient l'église. A Emma qui tient le gîte où il dort. Il n'aura pas de réponse,  parce que "les romans ne répondent jamais aux questions".

Pas de réponse, mais des bouts de vie, des histoires, des drames longtemps tus. Il lui permettront de tisser son récit, il y ajoutera des ourlets, des coutures signées Rimbaud, natif de la région. Cette campagne endormie de Haute-Marne aurait-elle oublié l'énergie du "post-adolescent génial", son ode aux "poches trouées", à l'aube d'été et aux commencements ?

Pierre peint un village (peu importe qu'il s'appelle Brachay, dans la réalité) qui se déglingue, se vide de sa substance. Qui résonne encore  de trois guerres avec l'Allemagne, mais étouffe dans sa mémoire la peu glorieuse guerre d'Algérie, que ses plus vieux habitants ont pourtant menée.
 
Les craintes des habitants renvoient Pierre aux souvenirs de cette Asie où il a vu de près la misère des réfugiés, des exilés, le visage, le sourire ou les larmes de ces étrangers tant redoutés ici.

Dans les discours de la démagogue, aucun mot pour désigner les fleurs ou les champs
 
Et le roman cerne au plus près ces angoisses de "la diagonale du vide". Celles d'une région qui se désertifie, se pétrifie, et fait la part belle à une démagogue sachant flatter ces peurs.

Quels mots-clés reviennent dans les discours de la postulante à l'Elysée ? "Africains", "barbares", "bled", chômage", "clandestins", "communautarisme" … Mais, note le romancier (qui a l'oreille juste), aucun n'évoque la réalité, les odeurs, les couleurs de la campagne ou des champs. "Fanfare, faux, fleurs, fromage, grange, haricots, lait, lapins, oiseaux (…), sel, silo …", autant d'images absentes. Si concrètes, si parlantes pourtant .

Aucune allusion non plus à cet Arthur Rimbaud grandi si près. Et si l'éternel poète qui tenait (comme nous sans doute...) "de ses ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte" était la meilleure des armes contre ce qui s'éteint en nous ? Un héritage que nul ne saurait dérober ? Une source pour rester vivants ?

La figure, la vie, la prose et les cheveux en bataille de l'éternel rebelle de 17 ans irrigue en tout cas ce roman nerveux, facétieux et superbement écrit. Et lui a emprunté,  puisé dans "Une saison en enfer" ("Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre".) son titre railleur. Faux nègres : initiales F.N.

Faux nègres, de Thierry Beistingel
Fayard, 422 pages, 20 euros

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