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"Expo 58" : le délicieux roman "so British" de Jonathan Coe

Jonathan Coe revisite le roman d'espionnage à sa manière : drôle et décalée. Avec le récit d'une aventure rocambolesque dont l'action se situe en 1958 sur le site de l'Exposition Universelle à Bruxelles, il nous peint le temps de la Guerre Froide, la naissance de la modernité domestique et les interrogations existentielles d'un homme. Un savoureux roman typiquement British !
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jonathan Coe publie "Expo 58" (Gallimard)
 (Catherine Hélie)
L'histoire : Londres, 1958. Thomas Foley est un jeune employé sans histoire du Bureau de l'Information (BCI) britannique, quand sa hiérarchie lui fait une proposition inattendue : une mission sur le site de l'Exposition Universelle, qui se déroule cette année-là à Bruxelles. Le gouvernement a décidé d'ouvrir un pub, et c'est à Foley que revient la responsabilité de faire du Britannia un établissement à la hauteur des ambitions affichées par les organisateurs, à savoir un digne symbole de la culture britannique. À Londres, le jeune Foley mène une vie bien rangée, partagée entre son travail ennuyeux, qui consiste à rédiger des brochures pour apprendre aux piétons à traverser les rues sans risque, et sa vie privée dans un pavillon de banlieue avec sa jeune épouse et son bébé tout juste né. Cette mission loin de la vie conjugale ouvre des perspectives à Foley que la réalité ne décevra pas…  

Dès son arrivée sur le site de l'Exposition Universelle, Thomas Foley est plongé dans l'exaltation de la nouveauté et le tourbillon des rencontres. Anneke, une ravissante hôtesse belge, accueille Thomas à son arrivée. Il se met tout de suite à la fréquenter assidûment "en tout bien tout honneur". Tony, son compagnon de chambre (un exigu préfabriqué qui incite au rapprochement amical), est le conseiller scientifique du Pavillon britannique. Il est chargé de veiller sur la ZETA, une machine à fusion nucléaire, fleuron de la technologie britannique. Andrey Chersky, journaliste russe du journal Spoutnik, est un adorateur de la culture anglaise, qui cherche auprès de Foley des conseils pour améliorer la qualité de ses articles. Le beau Russe dévore avec vénération les chips Salt'n'Shake de chez Smith, et collectionne fiévreusement les sachets de sel qui s'y trouvent…

Nid d'espions

Il y a aussi Jamie, la serveuse du Britannia, serrée de près par un Américain mal élevé et Emily, une sulfureuse comédienne américaine qui vante les vertus de l'aspirateur dernier cri sur le stand américain. Elle fait aussi tourner la tête de tous les hommes en présence... Toute cette  joyeuse troupe se retrouve chaque jour au Britannia, et Foley oublie bien vite les promesses faites à sa femme de lui écrire tous les jours et de rentrer le week-end. En marge, rôde un énigmatique duo, Radford et Wayne, vêtus d'impers, ayant l'air tout "droit sortis d'un roman de gare". Ce sont eux qui révèlent au naïf Foley certaines informations quand soudain plus rien ne tourne rond sur le site de l'Exposition Universelle…

"Qu'aurait fait James Bond dans de telles circonstances ?", s'interroge Foley, peu préparé aux péripéties d'une aventure qui ressemble de plus en plus à un roman d'espionnage. "Expo 58" en est une parodie hilarante, où tous les codes sont repris mais tournés en dérision. Jonathan Coe décrit avec jubilation l'atmosphère de la Guerre Froide, en toile de fond de l'Exposition Universelle de 1958. Tout le monde en prend pour son grade, des services secrets anglais aux mauvaises manières américaines, en passant par la naïveté des idéologies communistes soviétiques.

"L'ennui avec le bonheur…"

"Expo 58" dépeint une époque aujourd'hui révolue, un brin désuète. Une époque d'avant 68, où les hommes lisaient le journal pendant que leur femme repassait, et risquait fort de tomber enceinte sans le vouloir, une époque où l'on fumait sans limites, une époque où une femme qui avait des opinions prenait le risque de déplaire aux hommes. Un temps d'avant la décolonisation, aussi, où l'on s'autorisait sans honte à exposer des hommes, des "indigènes venus exprès" du Congo Belge…

Le roman de Jonathan Coe, dessiné comme une aventure de bandes dessinées, avec ses dialogues exquis, est aussi le portrait sensible d'un homme empêtré dans ses interrogations sur le sens de la vie. Bref, un savoureux roman typiquement British !

Les éditions Gallimard Jeunesse publient également "Le miroir brisé", le premier roman destiné à la jeunesse du romancier anglais. 
 
Expo 58 Jonathan Coe, traduit de l'anglais par Josée Kamoun (Gallimard - 324 pages - 22 euros)


Extrait
Ils roulaient depuis une vingtaine de minutes lorsque, sur la gauche, Thomas revit les sphères étincelantes de l'Atonium s'élever par-dessus les arbres, pleines lune contre le gris-bleu du ciel changeant. Il reprit du poil de la bête. Demain, il serait revenu sous ces globes, et la certitude l'electrisa derechef. A sa manière complexe et voilée, le monument était emblématique de ce que la Foire – et durant les six mois à venir sa vie à lui – représentait : le progrès, l'histoire, la modernité et la sensation d'être monté dans la locomotive de ce train-là. Et pourtant, comment réconcilier ce sentiment avec la vie qu'il venait d'abandonner passagèrement, celle où Sylvia semblait embourbée jusqu'au cou. Il y avait là une contradiction profonde.

Jonathan Coe dans l'émission L'humeur vagabonde de Kathleen Evin sur France Inter Jonathan Coe est né en 1961 à Birmingham. Après des études à Trinity College (Cambridge) et un doctorat à l'université de Warwick, il devient professeur de littérature. Son roman, "Testament à l'anglaise", le propulse sur la scène internationale. En 1998, il reçoit le prix Médicis étranger pour "La Maison du sommeil". (Source Editions Gallimard)


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