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Evelyne Dress, actrice devenue romancière : "Tout le travail consiste à se raconter pour les autres"

Actrice, réalisatrice, productrice, distributrice, peintre, romancière, Evelyne Dress nous confie son parcours, alors que sort son roman "Cinq jours de la vie d’une femme", d'après une histoire vécue.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
La cinéaste et romancière française Evelyne Dress chez elle, Paris, mars 2022.  (JACKY BORNET / FRANCEINFO)

De comédienne à romancière, Evelyne Dress a plusieurs vies, comme les chats qu’elle aime : réalisatrice, productrice, distributrice, peintre, sont les autres cordes à son arc. Elle nous les dévoile à l’occasion de la sortie de son dixième roman Cinq jours de la vie d’une femme (Éditions Glyphe), fondé sur une expérience vécue, une escapade en solitaire à Biarritz pendant le réveillon de Noël.

Franceinfo Culture : Quel parcours, d’actrice à écrivain, en passant par réalisatrice et productrice ! Comment s’est déroulé ce chemin des images aux mots ?

Evelyne Dress : D’abord comédienne, avec une carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision. On se souvient de moi dans Et la tendresse bordel (Patrick Schulmann, 1979, ndlr). J’ai eu une carrière constante après avoir fait l’école de la rue Blanche. J'étais souvent alors sur Antenne 2, futur France Télévisions, auprès notamment de Louis Bériot, président de la chaîne, et lui proposais des projets. Je voulais jouer les commissaires de police. Je n’avais alors aucune velléité d’écriture. C’est alors qu’il me propose d’animer une émission de télévision et de radio. Je lui réponds que c’est mon rêve, comme Dean Martin, Sinatra, Liza Minnelli, je veux chanter, danser, rire et pleurer, faire des claquettes, animer une émission de télé, c’est mon truc. Il me dirige vers Elkabbach à la recherche d’une animatrice pour une émission de la nuit sur Europe 1 et Antenne 2.

J’ai donc animé cette émission quotidienne radio et télé, qui s’appelait Entrez sans frapper de minuit à une heure du matin. Mais à l’époque, en 1987, il était très mal vu pour les comédiens de se "compromettre" à la télévision, c’était un crime de lèse majesté. Pareil pour les gens de radio ou de télé qui voyaient d’un très mauvais œil qu’une comédienne vienne prendre la place d’une animatrice. Ça a été une expérience très, très douloureuse. Quand elle s’est arrêtée, j’ai réfléchi à mon avenir, assez déprimée, j’ai pris une année sabbatique. Et là est arrivé un miracle, j’ai découvert que j’étais capable de peindre. J’ai peint nuit et jour. Jusque-là j’étais une marionnette dont on tirait les fils, toujours dépendante du regard des autres, je n’étais pas le moteur de ma vie. De prendre conscience que j’étais capable de peindre m’a rendue invincible. Ça été une véritable naissance pour moi. J’ai donc décidé, à partir de là, d’être maîtresse de ma vie.

La romanciaire Evelyne Dress (2022). (INGRID HOFFMANN)

Comment cette indépendance s’est exprimée ?

Je suis tombée sur un texte qui m’a bouleversée, Le Boucher d’Alina Rayès, un best-seller au Seuil qui racontait en 90 pages les fantasmes sexuels d’un boucher sur sa caissière, racontés par elle, avec les mots de la chair, de la mort et du sexe. Et c’est avec ces mots-là que je voulais revenir au théâtre, mais on me l’a refusé, on était 30 ans avant Les Monologues du vagin. J’ai donc créé ma compagnie et produit le spectacle, joué au Bataclan avec Rufus. C’était le spectacle du moment, ça sentait le soufre.

En parallèle, la nuit, j’écrivais un scénario de film qui s’appelait Pas d’amour sans amour, pour raconter ma génération qui a lutté pour acquérir son indépendance sexuelle, sociale, intellectuelle, professionnelle, et qui se retrouve vingt ans plus tard à zéro. Personne ne voulait faire ce film. J’ai donc créé ma société de production et tourné avec Patrick Chesnais, Gérard Darmon, Martin Lamotte, Michel Duchaussoy, Jean-Luc Bideau, Aurore Clément… et je jouais le rôle principal. Comme je l’avais produit, écrit, joué et réalisé, on m’a dit, "et bien maintenant distribuez-le". Je l’ai donc distribué et le film a fait 158 000 entrées avec très peu de salles, mais il a fait 7 129 080 téléspectateurs à son passage sur France 2 qui m’a racheté le film. Ce qui m’a permis de lever l’hypothèque de mon appartement que j’avais contractée pour terminer mon film. Je voulais repasser à la réalisation, mais les gens du métier n’avaient pas envie de me faire la courte-échelle. Au lieu de m’aider, ils ont fait le contraire.

J’ai eu la chance que les éditions Plon voient le film et me proposent d’écrire. Je leur ai soumis des projets et publié trois romans chez eux et chez Pocket. L’écriture m’a réparée de mes blessures, j’y ai pris goût et c’est maintenant un bonheur d’écrire. J’en suis à mon dixième roman.

Vous écrivez de l’autofiction, pourquoi cette confidence publique, même si elle est romancée ?

"Je est un autre". Je crois que c’est tout le travail des écrivains de se raconter. Là où ça devient intéressant c’est quand on sort du nombrilisme, c’est pour essayer d’aller vers les autres, que mon expérience se confonde avec celle des autres, qu’ils s’y retrouvent. Dans Cinq jours de la vie d’une femme, mon dernier roman, j’espère que je délivre une leçon de vie pour celles qui sont arrivées à la troisième partie de la vie. Et une leçon d’espoir pour celles qui ont peur de vieillir. Jusqu’au bout il peut se passer quelque chose. J’aimerais aussi que ça remue un peu dans les chaumières, on a encore une vision vieillotte de la femme de 70 ans. Aujourd’hui, ce n’est plus une mamie. Elle est encore capable d’avoir envie de faire l’amour.

Première de couverture de "5 jours de la vie d'une femme" (détail) d'Evelyne Dress (2022). (EDITIONS GLYPHES)

Mes livres m’ont également permis de sortir de ma souffrance par rapport à ma judéité. Tous mes livres sont traversés par la question "mais c’est quoi être Juif ?". Ce n’est pas que j’y ai répondu, mais la question me fait moins souffrir. Raison pour laquelle dans mes derniers livres, mon héroïne est toujours un peu juive, mais comme elle dit dans Cinq jours de la vie d’une femme, elle a rencontré un homme qui pourrait être le bon numéro dans la mesure où sa judéité ne lui pose aucun problème, à lui. Dans mon prochain roman en cours, il n’est aucunement question de judéité, ce qui ne me surprend pas, comme si un cap était passé. Ainsi les trois derniers ont été écrits pendant le confinement, ils sont donc peut-être un peu plus introspectifs. Mais j’ai entrepris d’autres livres importants pour moi où je réglerai mes comptes avec ma famille et ma judéité.

Vous êtes peintre aussi, de la peinture au cinéma il n’y a qu’un pas, qu’elle est votre rapport à l’image et à votre image ?

J’ai eu une mère qui m’a persuadée que j’étais moche. J’ai donc vécu comme une moche, jusqu’à il n’y a pas longtemps. Il y a des mannequins qui se trouvent très moches et qui souffrent. Et sans doute que si je ne m’étais pas trouvée si moche, j’aurais fait une autre carrière. J’ai souffert de ma grande timidité, je n’entre jamais dans une boutique parce que j’ai peur que tout le monde se retourne sur moi et s’aperçoive que je suis pauvre. Ma famille ne vivait pas dans l’opulence, on a souvent acheté la baguette de pain à crédit. Je vois chez mes proches la désinvolture, l’assurance que donne l’argent et quand on en a peu, ça ne donne pas les ailes pour pouvoir s’envoler. Je me vivais comme un vilain petit canard. De plus mon père qui était tailleur me faisait mes vêtements, mais toujours trop grands, espérant que j’allais prendre de l’opulence, ce qui faisait que je me voyais dans les vitrines toujours mal habillée.

Dans votre dernier roman, Cinq jours de la vie d’une femme, quelle est la part de vérité et de fiction, vous vous mettez en scène ?

A l’époque de Pas d’amour sans amour, j’étais en froid avec ma famille et me suis retrouvée toute seule à Paris, j’ai pris un billet pour Biarritz, comme dans le roman. Je raconte la vérité, la situation d’une femme seule qui dîne seule, un soir de réveillon de Noël avec une bouteille de Château Pavis que j’ai bue, alors que je ne bois jamais. J’ai été malade comme un chien, et j’ai pris des notes sur ma nuit, j’ai assisté à un concert comme dans le roman. Je suis partie d’une histoire vraie, de la solitude d’une femme. A l’époque, je n’avais pas 70 ans, mais peu importe, ça se vit toujours de la même manière la solitude. Après il y a un mélange de plusieurs choses. Je me suis servie de plusieurs hommes pour le personnage de Monsieur Lassa… Le kiné, c’est un fantasme. Les scènes de thalasso inspirent dans la moiteur la sensualité et comme j’aime beaucoup écrire et peindre la sensualité, c’est le milieu approprié.

Vous peignez toujours, ne préféreriez-vous pas écrire des scénarios, des pièces, faire de la mise en scène ?

Je ne peins plus parce que j’ai dû prendre un appartement plus petit et n’ai plus d’atelier. Comme je peins de très grands formats, je n’ai pas la place. J’en suis très triste d’ailleurs, de ne plus peindre et de ne pas pouvoir accrocher mes toiles aux murs.

Evelyne Dress dans son atelier dans les années 1980, à Paris. (EVELYNE DRESS)

Sinon, j’ai fait plusieurs adaptations qui sont dans mes tiroirs mais je n’ai jamais eu l’audace d’écrire du théâtre. Dans ce domaine, j’admire Jean-Claude Grimbert, son économie de mots, ses situations tellement fortes, les silences, j’aurais aimé écrire ce genre de théâtre. Des scénarios, j’en ai plein les tiroirs. Car j’adapte mes romans. Par exemple, La Maison de Petichet est un scénario que j’aimerais vraiment tourner. J’ai adapté Le rendez-vous de Rangoon qui se passe en Birmanie, un film d’aventure. Pour les autres, comme Les Tournesols de Jérusalem, ça demanderait beaucoup trop d’argent.

Quel est le sujet de votre roman en cours ?

Il se déroule en 1920 de Nîmes à New York, jusqu’en 1924, je ne peux pas en dire plus.

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