Elizabeth cultive sa liberté
En forme de journal de bord, l’auteur décrit saison après saison la naissance de son jardin, espace clos mais lieu unique où elle peut exprimer sa liberté. On est au début du XXème siècle, dans la société étriquée du royaume de Prusse, où les femmes ont le droit de contenter leurs maris et de se taire. Une époque où pour une femme de la bonne société, aller bêcher dans son jardin et en rougir de plaisir est une activité illicite qu’il faut pratiquer en cachette. L’auteur décrit avec humour l’univers rigide de l’aristocratie germanique. Son mari est nommé « l’homme de colère », ses enfants sont « les bébés de mars de mai et d’avril » comme autant de plantes de saison. Elizabeth s’empresse de défaire les alignements du jardinier du domaine pour faire de son jardin un jardin à l’anglaise, où la nature et la fantaisie sont une métaphore de la liberté à laquelle elle aspire, et dont on sent qu’elle ne tardera pas à triompher. Cette figure féminine libre et indépendante et les autres personnages féminins du livre préfigurent le combat naissant des femmes au XXème siècle.
Elizabeth est heureuse, seule, dans son jardin. Et c’est bien agréable de s’y promener avec elle.
Histoire d’un livre
Le manuscrit d’"Elizabeth et son jardin allemand", envoyé par la poste sans aucune recommandation, fut immédiatement accepté par Macmillan, la plus grande maison d’édition littéraire d’Angleterre de l’époque. Le livre emporta un immense succès et l’anonymat de l’auteur renforça l’engouement pour ce livre : le Daily Mail publia même une enquête très fouillée pour tenter de dévoiler l’identité de la mystérieuse comtesse anglo-allemande. Dans les années 70, Vigaro Press, maison d’édition dédiée aux femmes, fit de ce livre un pilier de sa collection et donna à l’auteur le nom sous lequel elle est maintenant connue, Elizabeth von Arnim, association du nom de son personnage et de son nom d’épouse.
Le livre est aujourd’hui réédité chez Bartillat et n’a pas pris une ride.
Elizabeth et son jardin allemand d’Elizabeth von Arnim
Editions Bartillat
198 pages
17 €
[ EXTRAIT ]
« Si seulement je pouvais manier moi-même la bêche et le plantoir ! Comme il serait plus facile, et plus exaltant, de creuser ses propres trous exactement à l’endroit où on le souhaite au lieu de donner des ordres qui ne sont jamais compris qu’à moitié dès l’instant où l’on s’éloigne des alignements tracés par ce maudit cordeau ! Toute en proie au bonheur de posséder mon propre jardin, et très impatiente de voir fleurir les lieux les plus désolés, il m’est arrivé un beau dimanche d’avril dernier, durant le repas des domestiques, de me glisser hors de la maison armée d’une pelle et d’un râteau et de bêcher fiévreusement un petit carré de terre afin d’y planter quelques volubilis avant de revenir en toute hâte m’effondrer sur une chaise, rouge et confuse, et de me cacher derrière un livre pour préserver ma réputation d’honnête femme. Et pourtant ... Sans doute cette activité manque-t-elle de grâce -on y devient si rouge-, mais elle est bénie de Dieu. Si Eve avait disposé d’une bêche au Paradis, et avait su s’en servir, cette malheureuse affaire de pomme et de serpent n’aurait jamais eu lieu. »
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