"Combats et métamorphoses d'une femme" : son nouveau roman réconciliera-t-il l'écrivain Edouard Louis avec sa mère ?
Après avoir raconté son enfance dans "En finir avec Eddy Bellegueule" en 2014, puis consacré en 2018 un livre à son père, "Qui a tué mon père", Edouard Louis publie "Combats et métamorphoses d'une femme" (Seuil). Le livre, publié sept ans après son premier roman qui avait fâché sa famille, raconte cette fois l'histoire du point de vue de la mère.
La mère d'Edouard Louis avait fait malgré elle une entrée fracassante dans la célébrité littéraire avec En finir avec Eddy Bellegueule en 2014. Avec le nouveau livre de son fils, est-ce le temps de la réconciliation?
Combats et métamorphoses d'une femme (Seuil) sort jeudi, sept ans après un premier roman qui avait inspiré de la colère à cette Picarde mère de cinq enfants, dépeinte de manière peu flatteuse.
"Elle ne veut pas que le monde le sache qu'elle est pauvre"
"Son sourire mettait en évidence sa peau vieillie, jaunie, sa voix devenue grave, rauque, à cause de la cigarette, sa voix trop forte aussi", écrivait le jeune romancier, juste après avoir raconté la fausse couche de sa mère dans les toilettes d'une maison familiale qu'elle-même appelait "une ruine".
L'Obs l'avait retrouvée et fait part de son indignation. La brouille entre les deux était publique. "Ma mère a réagi, elle n'était pas contente de ce que j'avais écrit. La première chose qu'elle m'a dite quand elle a pu parler avec moi, c'était : 'pourquoi est-ce que tu dis qu'on est pauvre?!' Elle ne veut pas que le monde le sache parce qu'elle a l'impression qu'elle en est responsable", dit l'écrivain de 28 ans à l'AFP.
"J'ai changé, ma mère a changé. C'est l'histoire que je raconte", poursuit-il. "L'histoire de la relation avec ma mère, comme celle avec mon père et toute ma famille, dans mon enfance, c'était l'histoire d'une relation impossible. Pas parce qu'on ne l'aurait pas voulu, pas parce qu'il y aurait eu un incident particulier, mais simplement parce que je vivais dans un monde qui rejetait violemment l'homosexualité".
Tradition littéraire
Edouard Louis n'est pas le premier à se fâcher avec sa famille après avoir rendu publique son histoire intime.
"Ecrire, c'est le dernier recours quand on a trahi", disait Jean Genet qui avait été abandonné par ses parents et avait eu une enfance très difficile.
Marcel Jouhandeau, dans Le Livre de mon père et de ma mère (1948), avait décrit les manières brutales de son père boucher... et ses maîtresses. Face à ce tyran, "ma sainte femme de mère n'avait de goût que pour la pauvreté et la pureté, d'amour que pour ses enfants", y raconte-t-il. Et ce n'était que le début d'un cycle romanesque sur sa ville natale, Guéret, dans la Creuse, avec laquelle il se fâchera.
Hervé Bazin, qui à 37 ans avait signé un portrait assassin de sa mère, Folcoche, dans Vipère au poing (1948 également), avait définitivement rompu avec sa famille dès ses 20 ans.
Plus près de nous, Lionel Duroy, à longueur de romans autobiographiques, a décrit sa mère, qui avait eu neuf enfants et qu'il a détestée, comme très désagréable, proche de la folie. Pas de nature à apaiser leurs relations. "Ma mère, qui jamais ne disait merci, qui jamais ne nous souriait", écrit-il encore dans son dernier roman, L'Homme qui tremble (2020), au sujet de cette femme aujourd'hui décédée.
"Je n'écris pas pour faire plaisir aux gens"
Pour Edouard Louis, l'apaisement avec cette mère qui comme lui a changé de nom de famille et quitté la Picardie pour Paris, compte moins que la littérature.
"Que je sois en bons termes avec ma mère ou pas, ce n'est pas intéressant. Quand je parle de cette femme qu'est ma mère, c'est pour parler des femmes et des mères, pas de ma mère en particulier. Je n'écris pas pour faire plaisir aux gens, j'écris pour me battre et j'écris ce qui me semble juste", avance-t-il.
De même, après Qui a tué mon père, portrait du père ouvrier victime de la dureté de l'usine, Combats et métamorphoses d'une femme dresse le portrait d'un mari malveillant.
"Si je considère que j'essaie de construire une histoire sociale à travers une expérience biographique, ce qui serait l'enjeu balzacien, chaque personnage a un visage différent selon l'histoire que je vais raconter. Mon père par rapport à ma mère, évidemment j'en parle comme d'un tyran domestique, quelqu'un qui voulait qu'elle reste à la maison et l'attende toute la journée alors qu'elle ne savait jamais quand il rentrerait. Il y a toujours plusieurs individus à l'intérieur d'un individu", conclut le romancier.
"Combats et métamorphoses d'une femme", d'Edouard Louis (Seuil, 128 pages, 14 €)
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