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"Ce sont des choses qui arrivent", roman cinglant de Pauline Dreyfus

Le roman s'ouvre sur une scène d'obsèques en 1945 à Saint-Pierre de Chaillot, paroisse huppée du 16e arrondissement. Qui était celle qu'on enterre, Natalie, duchesse de Sorrente ? Pourquoi cette gêne palpable dans l'assemblée ? Un beau roman qui décrit la vie mondaine du gratin aristocratique français, pendant la Seconde guerre mondiale. En filigrane, la persécution des juifs.
Article rédigé par franceinfo - Anne Brigaudeau
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La romancière Pauline Dreyfus
 (Jean-François Paga)

Dès le début le ton est donné. Pour qui sonne le glas ? Pour Natalie, duchesse de Sorrente, née Lusignan. Messe de funérailles dans l'église la plus chic et la plus compassée de Paris. Protocole implacable. Orphelins apeurés, surtout le plus jeune,  Joachim, dont on murmure que ...

Les non-dits qui fissurent les familles bien nées

Ces non-dits, ces secrets qui fissurent les grandes familles bien nées, Pauline Dreyfus va les dérouler tout au long des 230 pages de son roman.

Bals, fêtes, dîners mondains rythment la vie de Natalie qui suit, en cet été 1940, son mari à Cannes. Une grande partie de l'élite parisienne se retrouve d'ailleurs sur la Côte d'Azur. Mais une autre population afflue dans le sud de la France : les juifs fuyant les persécutions. Témoin cette jeune comédienne, Ginette Lévy, qui tombe amoureuse de son partenaire, un certain Gérard Philipe.

A Cannes, Natalie accouche de son deuxième enfant, Joachim. Très brun quand son père -et sa soeur- sont roux. Mais qu'importent les supputations ?  Le garçon perpétuera le nom de son père, issu de la noblesse d'Empire.

A la mort de sa mère, Natalie comprend qu'elle n'a fait que reproduire l'infidélité dont elle-même est issue. Elle apprend, surtout, que son père est juif. Et sa vision sur la guerre bascule du tout au tout, tandis qu'elle devient, parallèlement, accro à la morphine.

Le name-dropping des compromis (ou collabos)

A quoi tient le brio, la maestria de ce livre ? A la minutieuse description des codes mondains. A l'usage de la litote et au maniement de l'ironie, cette arme élégante retournée contre ses utilisateurs. A l'aller-retour constant entre ceux qui tiennent le haut du pavé, et les proscrits, les clandestins.

Et au name dropping des artistes qui n'ont cessé de jouer sous occupation nazie, avec la bénédiction des autorités de Vichy. Les CocteauGuitry, Giraudoux, Arletty ...

Pour nourrir son roman, Pauline Dreyfus s'est beaucoup documentée. A revu "Monsieur Klein" (Joseph Losey), "Au revoir les enfants" (Louis Malle), "Le dernier métro" (François Truffaut). Elle avoue avoir dévoré, aussi,  le livre de Patrick Buisson sur Vichy (1940-1945, années érotiques). 

"Fusionner en un seul personnage deux grands mères" 

La justesse du registre vient aussi de la dimension autobiographique du livre. Cette vie mondaine, Pauline Dreyfus en a beaucoup entendu parler, par sa grand-mère maternelle. "Tous ces gens du gratin, quand la guerre leur est tombée dessus, ils n'ont pas cessé de s'amuser. Ils ont poursuivi la fête par d'autres moyens"

"Le point de départ du livre, ajoute-t-elle, ç'a été de fusionner en un seul personnage mes deux grands mères, celle qui allait chez Maxim's pendant la guerre"et l'autre, celle de sa famille paternelle juive contrainte de fuir et se cacher.

Après "Immortel, enfin" (prix des Deux Magots, consacré à Paul Morand), "Ce sont des choses qui arrivent" est le second roman de l'auteure. A 45 ans, Pauline Dreyfus, qui a beaucoup écrit (incognito) pour les autres, va désormais cesser de prêter sa (jolie) plume, parce qu'il est difficile d'être "dans deux imaginaires".

Et le sien, cruel et délicieux, excelle à débusquer sous la soie perfidies et méchancetés d'une caste inébranlable. Un livre très cyanure et champagne, et l'un de nos coups de coeur en cette rentrée.

Ce sont des choses qui arrivent, de Pauline Dreyfus (Grasset)

Extrait 
Parmi les calamités infligées à l'humanité, le froid a ceci de commun avec l'impôt qu'il est progressif : en temps de guerre, on gèle davantage dans les hôtels particuliers que partout ailleurs.


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