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Avec "L'imprudence", son premier roman, la scénariste de BD Loo Hui Phang plonge dans ses racines

Ce premier roman de la scénariste de bande dessinée est un voyage à rebours dans le temps, et un hymne au désir et à la liberté.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'écrivaine et scénariste Loo Hui Phang (Gil Lesage)

Avec L'imprudence (Actes Sud), la scénariste de bande dessinée Loo Hui Phang fait le récit d'un voyage au Laos, où elle est née, pour assister à l'enterrement de sa grand-mère Wàipo. Que signifie ce retour au pays pour cette jeune femme exilée en France alors qu'elle n'était encore qu'un tout petit enfant ? Quels sont ses liens avec cette terre lointaine, avec cette famille dont elle ne connaît presque rien ?  Qui est-elle de ce côté-ci du globe où elle a grandi, et là-bas, où sont ses racines ? Avec ce premier roman, court et sensuel, Loo Hui Phang  poursuit sous une nouvelle forme -elle aime s'aventurer dans de nouveaux territoires- son travail d'écriture. Parution le 21 août.

L'histoire : Une jeune femme se rend au Laos à l'occasion de la mort de sa grand-mère, qu'elle a à peine connue car la famille, fuyant le régime dictatorial communiste, a émigré quand elle avait un an. Elle n'a donc presqu'aucun souvenir decette terre, peu de souvenirs de ses grands-parents, restés là-bas, au contraire de son frère Bertrand, qui avait sept ans au moment de l'exil. La jeune femme a grandi à Cherbourg au milieu de la communauté vietnamienne, où on lui promettait un avenir tout tracé, mari choisi par la famille. Elle en a décidé autrement, en partant fissa à Paris dès sa majorité. Elle est devenue photographe, a ainsi conquis son indépendance et sa liberté, qui passe pour elle, entre autres, par le corps et l'assouvissement sans limites de ses désirs sexuels.

La jeune femme s'adresse à son frère. Dans son histoire à lui quelque chose a déraillé. On ne sait trop quoi mais le résultat est là. A trente-trois ans, il passe son temps à fumer des joints en jouant aux jeux vidéo, dans la chambre de sa sœur, qu'il a récupérée depuis qu'il est revenu chez ses parents après qu'une jolie rousse l'a abandonné.

"Redonner aux souvenirs l'épaisseur du temps"

Née au Laos en 1974, d'un père chinois et d'une mère vietnamienne, Loo Hui Phang a comme son personnage grandi en Normandie, avant de "monter à Paris" et de devenir scénariste pour la bande dessinée, entre autres. Le retour au pays constitue une occasion d'explorer la question de l'exil et de recoudre le fil de ses souvenirs, une mémoire en pointillés, à peine quelques bribes "échappées de conversations d'adultes", qui ajoutées aux rares photographies et aux silences, ont façonné pour elle une mythologie familiale.

Des souvenirs éclatés auxquels elle veut, dit-elle, "redonner l'épaisseur du temps". En retournant au pays, la jeune femme découvre une part cachée de l'histoire de sa famille, qui lui permet de trouver un point de rencontre avec son grand-père, et de renouer une filiation qu'elle n'aurait pas osé imaginer…

On retrouve dans ce court et dense roman la patte de l'auteure, la sensualité, mots soigneusement choisis, associée à une forme de brutalité dans l'écriture, phrases courtes, percutantes, qui battent la mesure d'une histoire hachée par la mémoire. On retrouve aussi l'omniprésence du désir, des corps, et "l'odeur des garçons affamés" qu'aime tant, dans ce roman, la narratrice, et qui avait fait le titre d'un album de bande dessinée paru en 2016, L'odeur des garçons affamés, un western revisité, mis en images par Frederik Peeters.

Couverture de "L'imprudente", de Loo Hui Phang (Actes Sud)

L'impudence, Loo Hui Phong (Actes Sud - 144 pages - 17,50 €)  

Extrait : Entre le fauteuil de bambou et le vaisselier, s'élève le lit de Wàipo, posé là comme par accident. Coiffé d'une structure tendue en mousseline, c'est un vaisseau de la Royale, échoué sur une grève jonchée de débris. Notre grand-mère s'est éteinte là, il y a trois jours. Les draps sont encore froissés. A travers l'écran de la moustiquaire, je devine la marque de son corps. C'est une vision que je veux à jamais garder. J'attrape le Leica d'Edmond, tapi dans mon sac. J'arme l'appareil. Le vieux salaud me tient la main. Il murmure : "Arrête de réfléchir. Approche-toi. Appuie."

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