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"A la demande d'un tiers", amour fou et folie douce dans ce premier roman de la compositrice et interprète Mathilde Forget

Un premier roman où il est question d'internement psychiatrique, de "syndrome du cœur brisé", et de l'amour qui lie deux sœurs au-delà de tout.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
La romancière, compositrice et interprète Mathilde Forget (JF Paga / Grasset)

Mathilde Forget est interprète et compositrice, elle s'est fait connaître avec sa chanson Le sentiment et les forêts (Prix jeune talents en 2014). Après un master de création littéraire, elle publie A la demande d'un tiers (Grasset), son premier roman, en librairie le 21 août 2019.

L'histoire : quand on fait connaissance avec la narratrice, elle vient de rompre avec "La fille avec qui elle veut vieillir". Elle a aussi été contrainte de faire interner sa sœur à l'hôpital psychiatrique. La narratrice est terrifiée par les requins. Et elle se remémore la scène de Bambi, "ce connard", qui à "cinq ans et en un petit mouvement de tête, semble avoir déjà tout compris". Elle et sa sœur Suzanne ont elles aussi perdu leur mère quand elles étaient enfants. Cette mort brutale semble n'avoir pas provoqué les mêmes effets sur les deux sœurs.

"Les fissures ne sont pas uniquement causées par le séchage du bois, certaines sont dues à un choc. Une fois, j'ai planté des clous de même taille dans deux poutres différentes, mais jamais les crevasses ne se ressemblent. Un événement de même nature produit rarement des résultats identiques" (page 16).

La narratrice, définitivement atteinte du "syndrome du cœur brisé" après la rupture avec son amie, et chamboulée par l'internement de sa sœur, se lance alors dans une enquête pour mieux comprendre la mort de sa mère, qui s'est suicidée en se jetant de la plus haute tour d'un château…

La folie douce

Ce roman est une quête de la folie, cette affliction qui "n'est pas donnée à tout le monde", regrette la narratrice, citant Lacan. Elle confie avoir pourtant "essayé de toutes ses forces". Au détour de son récit, la jeune romancière dénonce les manquements de la psychiatrie en France, sans insister.

Elle préfère remonter le fil de son histoire. En retournant voir les psychiatres qui ont suivi sa mère (dont elle ne tire rien), en fouillant les archives de la presse locale, à travers des lettres de sa mère, en scrutant l'enfance des tueurs en série, et aussi au contact de sa sœur internée, qu'elle connaît si bien jusque dans les moindres vibrations, la narratrice reconstruit le visage de cette folie installée dans sa famille, une folie à deux versants, l'un sombre, l'autre joyeux aussi, mais que la société peine à accueillir.

Et l'amour qui fait mal

En arrière-plan, une évocation poétique du chagrin amoureux, cette douleur concrètement décelable, nous dit la narratrice, sur la surface du cœur, qui se couvre, ont découvert les scientifiques de l'université d'Aberdeen, "de petites cicatrices visibles sur le muscle", affectant le système de pompe "de manière permanente." Les Japonais avaient constaté le même phénomène, apprend-on, et l'avaient baptisé "Tako Tsubo", qui signifie "piège à poulpe" en japonais, un syndrome qui peut aller jusqu'à la crise cardiaque. "Il n'existe pas de traitement à long terme, regrette Jeremy Pearson, médecin à la British Heart Foundation. Je regrette avec lui". 

La fraternité (ici au féminin) est aussi au programme d'A la demande d'un tiers, décrite dans cette histoire singulière comme un lien quasi animal. Avec ce premier roman court et intense, la romancière ne s'encombre pas d'une narration linéaire, livrant par morceaux, comme le fait la mémoire, les épisodes qui permettent de reconstituer le puzzle d'une histoire. L'écriture est musclée, rythmée comme une balade musicale. Le propos jamais larmoyant, au contraire, l'humour irrigue sans cesse cette tragédie racontée avec tendresse.

Couverture de "A la demande d'un tiers", de Mathilde Forget (GRASSET)

A la demande d'un tiers, Mathilde Forget (Grasset – 162 pages – 16 euros)

Extrait :

"Jacques a dit : " Ne devient pas fou qui veut." Je ne suis pas spécialement lacanienne, mais sans connaître cette phrase j'ai pensé il y a quelque temps que la folie n'est pas donnée à tout le monde. Je ne suis pas non plus freudienne. Et d'ailleurs je me méfie de Sigmund, je sais que Bambi a été créé par l'un de ses proches amis, le romancier Felix Salten."

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