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70 ans après sa mort, pourquoi George Orwell est-il toujours autant d’actualité ?

Son roman "1984" est un best-seller qui traverse les décennies, plus actuel que jamais.

Article rédigé par franceinfo Culture - Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
1984, publié en 1949, en graffiti sur le toit d'un immeuble à Paris pendant une manifestation (ETIENNE LAURENT / MAXPPP)

Des caméras de vidéosurveillance omniprésentes, reliées à des centres aux écrans qui tapissent les murs, des réseaux sociaux où tout le monde peut suivre et potentiellement espionner tout le monde, des écrans interactifs, du harcèlement en ligne qui pousse parfois au désespoir… Tous ces mécanismes avaient été imaginés par le grand auteur anglais George Orwell, disparu il y a 70 ans.

A l’époque, la télévision n’était même pas encore apparue… Comment cet auteur a-t-il pu être aussi visionnaire ? Et surtout, comment a-t-il pu, au fil des années, autant imprégner notre culture ?

L'univers "orwellien"

Orwell, comme Kafka, est l’un des rares écrivains du XXe siècle dont le nom soit passé dans le langage courant. Selon les calculs du New York Times, l’adjectif "orwellien" est aujourd’hui aussi souvent utilisé que "machiavélique". La novlangue est un terme tout aussi couramment employé, sans oublier Big Brother, un personnage qu’on invoque au détour d’une conversation, ou la double pensée, ce procédé qui consiste à persuader son interlocuteur de l’inverse de la vérité - qui n’a plus aucune importance -, largement utilisé dans le marketing et le monde politique. Si on retient surtout que George Orwell a écrit 1984, ce chef d’œuvre incroyablement prescient, on oublie souvent qui il était.

Littérature : George Orwell le visionnaire
Littérature : George Orwell le visionnaire Littérature : George Orwell le visionnaire (FRANCE 3)

Un observateur minutieux

L’homme est né dans une famille britannique aisée, qui vivait dans les colonies. Après ses études à Eton, le jeune diplômé ne choisit pas la facilité : il commence sa carrière comme policier en Birmanie. Une expérience qui illustre la posture qui ne le quittera jamais : George Orwell écrit sur ce qu’il connaît. Il en tirera un premier livre de lutte contre le colonialisme.

L’homme a un regard affûté, et se place résolument du côté des faibles. Il sera toute sa vie un journaliste engagé. Pour écrire Le quai de Wigan, il vivra plusieurs mois parmi les mineurs de cette petite ville du nord de l’Angleterre. Puis il survivra de rien à Londres et à Paris, aux côtés des miséreux, et en couchera encore un témoignage sur le papier (Dans la dèche à Paris et à Londres). Etre le plus honnête possible le pousse à s’engager aux côtés des brigades socialistes du POUM en Espagne, avec sa femme. Il manquera être arrêté à Barcelone par les communistes, et c’est cet épisode qui l’amènera à disséquer sous toutes ses coutures l’idéologie totalitariste, et à démontrer dans La ferme des animaux l’impossibilité de la révolution.

"1984" : une incroyable satire 

1984 est son dernier roman, écrit sur la petite île de Jura, au nord des Hébrides. Orwell était déjà malade de la tuberculose lorsqu’il en commença la rédaction, et se savait pressé par le temps. Selon Isabelle Jarry, une écrivaine qui a elle-même écrit sur George Orwell, "ce n’est pas un grand roman stylistique, l’homme a voulu être efficace, mais précis."

Si le style n’est pas son point fort, la satire du totalitarisme fait mouche. "C’est exactement comme Molière", nous explique Jean-Jacques Rosat, philosophe : "Molière a examiné toutes les caractéristiques de l’avarice, et les a poussées à l'extrême pour créer L’avare, une caricature. L’erreur serait de prendre 1984 comme un roman d’anticipation. Orwell n’avait pas d’imagination, mais une capacité d’observation et d’analyse extraordinaire. Il a observé les caractéristiques des régimes totalitaires de son époque, et en a tiré les traits les plus saillants pour composer 1984. Il n’a pas pensé une seule seconde écrire un roman d’anticipation. Ce livre est une satire, pas une prophétie." 

Un manifestant brandit 1984, de George Orwell, à Bangkok   (NICOLAS ASFOURI / AFP)

Il n’empêche que c’est aussi une mise en garde qui est toujours d’actualité contre les dérives de ces mécanismes et leur influence sur nos existences. Face à cela, Orwell donnait aussi l’antidote : toujours privilégier l’humain à l’idéologie, toujours faire passer les faits avant cette même idéologie, rester curieux, fuir les dogmes religieux, toujours défendre les libertés… Il ajoutait une dernière recommandation qui lui tenait particulièrement à cœur : soigner son langage, pour lutter contre les euphémismes dont raffolent les hommes politiques (les fameux "éléments de langage" comme "frappes chirurgicales", par exemple).

Pour toutes ces raisons, Orwell est devenu plus qu’un adjectif : un emblème qui de Hong-Kong à la Russie, en passant par la Thaïlande (photo) accompagne les protestataires, brandissant qui un masque du grand écrivain, qui simplement un livre. Les mots comme ultime résistance : tout un symbole que n'aurait pas renié l'écrivain.  

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