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"Petite" : Sarah Gysler raconte sa révolution par le voyage, sac sur le dos, sans argent et sans itinéraire

Quand elle avait 20 ans (elle en a aujourd'hui 24), Sarah Gysler a tout quitté pour prendre la route, sac à dos et sans un sous en poche. C'est cette épopée que raconte cette nomade des temps modernes dans "Petite" (Éditions Les Équateurs), un court récit percutant et instructif sur ce qui se cache dans la tête d'une jeunesse en quête de sens.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Sarah Gysler
 (Jean-Baptiste Philippe )

Sarah Gysler n'est pas une jeune fille comme les autres. A 24 ans, elle a déjà sillonné seule et sans un sous en poche l'Europe jusqu’au Cap Nord, les Philippines, traversé l'Atlantique à bord d'un voilier jusqu'à la Barbade, monté une campagne humanitaire avec "Sea Shepard", traversé l'Europe en Transsibérien…

Une enfance en Suisse

Comment cette jeune femme suisse a-t-elle un jour décidé de tout quitter pour prendre la route sans argent en poche, sans programme, sans point de chute ? C'est ce qu'elle raconte dans "Petite", un court et percutant récit, qui ouvre des questions sur le monde d'aujourd'hui, sur ce que désire une génération en quête de sens. Qu'est-ce que réussir sa vie ? Donne-t-on vraiment le choix aux jeunes gens d'aujourd'hui de choisir leur propre chemin? Que se passe-t-il quand on décide de ne pas suivre les rails ?

Née "au milieu des années nonante en Suisse", d'un père issu du monde paysan helvète, et d'une mère algérienne capable de faire le meilleur couscous du monde, de monter un meuble Ikea, de changer une roue ou de tondre le gazon. Elle a un frère aîné, Alexandre, qui se fait appeler Flex.

La rupture

Disputes, violences verbales, incompréhension… Quand Sarah a 3 ans, ceux qu'elle appelle "ses géniteurs", se séparent. Sur ce, la mère "se mure dans une tristesse froide", son père, rendu impotent par une maladie, devient un consommateur compulsif de "Joséphine ange gardien", et les enfants, eux, "se débrouillent".

"Avec Flex, on s'est démerdés. Nous étions de ces enfants qui grandissent avec une clef autour du cou, connaissent les numéros d'urgence par cœur et savent faire cuire des pâtes avant même d'être en mesure d'atteindre les casseroles". Livrés à eux-mêmes, les deux enfants expérimentent (surtout les bêtises), s'amusent beaucoup, pleurent, aussi.

À l'école, ce n'est pas ça. La première expérience avec un garçon, pas ça non plus. Suivront d'autres aventures à quai, deux amoureux, une entrevue malheureuse avec un conseiller d'orientation, un accident et une grossesse avortée. Sarah ne se sent pas à sa place. Ni dans sa famille, ni dans les schémas que la société lui propose (impose ?).

Faire des études, passer son permis de conduire, trouver un travail, entrer dans la compétition, s'entasser chaque matin dans les transports pour aller s'ennuyer au turbin, supporter le tout en pensant à ses prochaines vacances, pire, à la retraite… Sarah Gysler ne sait pas exactement ce qu'elle désire, mais elle est certaine que tout cela, elle n'en veut pas.

Un tour du monde sans argent et sans itinéraire

Elle essaie pourtant de se plier aux injonctions, passe par l'alternance, mais à l'âge de 20 ans, elle décide de tout plaquer, et se sauve, dans les deux sens du terme. Elle se fixe un objectif géographique (aucun autre) en pointant au hasard son doigt sur une map monde. Ce sera le Cap Nord. Elle prend la route sans argent, sans point de chute, sans but précis sinon l'envie de faire des rencontres et de trouver le chemin vers elle-même.
À travers cet acte de révolte, qui prend pour elle la forme d'un voyage radical, cette "petite" nous questionne : d'autres voies sont-elles possibles pour chacun d'entre nous, et collectivement. Peut-on s'écarter de l'autoroute tracée depuis l'enfance ?

Sarah Gysler a largué les amarres, mais ne s'est pas pour autant déconnectée du monde. Elle a d'abord raconté ses aventures dans un blog, L'aventurière fauchée, relayé sur les réseaux sociaux, une page Facebook avec plus de 40. 000 amis, un compte Instagram, une chaîne Youtube.


Elle y partage son expérience, raconte comment elle s'y prend pour voyager sans argent. Où dormir ? En faisant appel par exemple à ce site, qui met en relation les voyageurs et ceux qui souhaitent les accueillir, sans échange d'argent. Quoi emporter dans son sac à dos ? Comment manger en s'invitant chez les gens, ou en glanant dans ce que les sédentaires jettent. Comment avancer ? En auto-stop bien sûr (oui ça existe toujours et ça marche !) le bateau, le transsibérien, ou dans le coffre d'une voiture quand la traversée d'un Fjord est trop chère…

Des points d'interrogation

Puis elle rentre, et repart, et finit par s'enfermer pendant plusieurs mois, pour écrire ce livre. Elle y raconte son enfance, ses révoltes, ses chagrins, les raisons qui l'ont poussée à prendre la route sans argent, ses déboires, ses peurs et ses joies, et surtout les rencontres inoubliables qui ont révolutionné sa vie.
 

Des rencontres que j’oublierai jamais

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Pas si "Petite"

"Petite" est un récit enlevé, Sarah Gysler a le sens des formules. Son texte a la fraicheur, l'enthousiasme et les maladresses de la jeunesse, qui donnent à son récit une sincérité totale.

"Petite" ouvre une fenêtre sur ce qui se trame dans les têtes d'une génération qui ne croit plus aux schémas du monde occidental, qui a abandonné l'idée de chercher les réponses dans les idéologies dogmatiques qui ont soulevé l'enthousiasme de la jeunesse au XXe siècle. Une génération qui préfère chercher des pistes en se frottant au monde, dans les rapports aux autres et à la nature. Des pistes qui dessinent le plus souvent un point d'interrogation.

Sarah Gysler pose un regard acéré sur le monde qui l'entoure, sur les adultes qui l'ont fait grandir, un optimisme et une foi en la vie solidement accrochés au sac à dos.
Un livre-document. Émouvant et instructif.
 
"Petite", Sarah Gysler
(Éditions des Équateurs – 190 pages – 18 €) En libriairie le 27 juin 2018

Extrait :

"A quinze ans, il y a des gens qui savent exactement ce qu'ils veulent faire de leur vie. En général, ils sont blonds, polis, parfaits. Comme dans les sketchs de Gad El Maleh. Ils ont un visage lisse, un prénom lisse, une vie lisse. Ils choisissent ce que l'on appelle des "beaux métiers", des trucs qui rendront fières leurs mamans et leur promettront une destinée peu houleuse. Et ils y arriveront, c'est sûr. Il y a eu un temps où je les enviais. Je me suis souvent demandé ce que ça faisait d'être de ceux-là. D'avoir des parents qui s'aiment encore, s'embrassent avant de partir au travail, et passent des dimanches en famille. D'avoir un père qui ne pisse pas par un tuyau, une mère qui n'a jamais voulu mourir.
Moi, j'ai les cheveux noirs. Noir corbeau, comme ma mère. Et je fais partie de l'autre tas. Là où se trouvent ceux qui galèrent, avec un cœur trop mou, des discours décousus, des crises d'angoisse la nuit. Le tas de ceux qui vont se perdre, errer, tomber, plusieurs fois. Bref, de ceux qui ne sont jamais posé la question de ce qu'ils allaient faire comme métier avant qu'on leur pose. C'est là que les choses ont commencé à se corser pour moi. J'ai eu quinze ans et il a m'a fallu choisir une vie."

"Petite", page 48

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