Nous sommes en mai 1941. "L'Étranger" est encore une oeuvre en devenir. Les suggestions de Malraux ont été adressées à Pascal Pia, l'ami de Camus. Pia les transmet à son tour à Camus qui, évidemment, tiendra compte des remarques de son aîné. Malraux en 1978 (ULF Andersen/AFP) "J'essaie de vous dire des choses utiles", écrit André Malraux à Albert CamusA propos de "L'Étranger", Malraux suggère encore à Camus de revoir le style. "La phrase est un peu trop systématiquement: sujet, verbe complément, point. Par moments, ça tourne au procédé. Très facile à arranger en modifiant parfois la ponctuation", écrit Malraux qui demande également "à travaille encore la scène avec l'aumônier" car, estime-t-il "ce n'est pas clair". L'auteur de "La condition humaine" affirme encore que si "la scène du meurtre c'est bien, ce n'est pas aussi convaincant que l'ensemble du livre". (Gallimard) "Je n'essaie pas de vous dire des choses intelligentes, ni du genre pénétrant, j'essaie de vous dire des choses utiles", insiste Malraux en reconnaissant qu'il pourrait avoir l'air d'un "pion". En novembre 1941, Camus répond directement au "cher Malraux". "Vous êtes parmi ceux dont j'ai souhaité l'approbation", écrit Camus. Non seulement Camus suivra les conseils de Malraux mais, en mars 1942, après la publication de son roman, il écrira à son ami Jean Grenier : "J'ai été servi par la chance et par mes amis ; Pia et Malraux ont tout fait."Jamais pourtant cet échange ne se mue en amitiéGallimard publie à partir du 13 octobre les lettres que les deux écrivains se sont adressées 15 ans durant dans "Correspondance 1941-1959 et autres textes". Au fil du temps, les lettres nous montrent que les deux hommes passent "d'une amitié teintée de respect et d'admiration" à "une fidélité fondée sur l'estime", fait remarquer l'universitaire Sophie Doudet, spécialiste de l'oeuvre de Malraux (dont elle a écrit une biographie) et de Camus."Jamais leur correspondance n'atteint l'intimité, la complicité ni la chaleur que l'on décèle dans les lettres que Camus envoie à Louis Guilloux ou à René Char", rappelle Sophie Doudet qui note que "le ton est toujours cordial et le vouvoiement de rigueur". "Jamais Albert n'écrit à André et seuls Camus et Malraux dialoguent".