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Procès contre Le Monde: toute phrase de Michel Houellebecq est-elle une oeuvre d'art ?

"Les médias (...) c'est fini". Mécontent de voir publié un petit mot qu'il avait fait passer à son avocat lors d'un procès en 2002, Michel Houellebecq a poursuivi Le Monde, qui lui reproche contradictions et malveillance.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Michel Houellebecq en avril 2015
 (EFE/SIPA)

A l'été 2015, le quotidien publie une série de six articles consacrés à l'écrivain. Dans le troisième de la série, le 20 août, Le Monde revient sur le procès, en septembre 2002, à l'issue duquel Houellebecq a été relaxé, après avoir déclaré notamment "la religion la plus con, c'est quand-même l'islam". Propos publiés dans le magazine Lire, dont l'édito affirmait que Houellebecq avait répondu "en buvant comme un trou".

La Une du Monde daté du 18 août 2015
 (Andreu Dalmau/EFE/SIPA)

Le principe d'estoppel

Lors du procès, il avait griffonné: "Ma décision est irrévocable : les médias, pour moi, c'est fini". Mot qu'il a fait passer à son avocat Emmanuel Pierrat. Devant la 3e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, l'auteur s'est plaint, par la voix de son avocate Nathalie Dubois, d'une part d'une atteinte à son droit d'auteur pour cette reproduction sans son autorisation, d'autre part de la divulgation d'une correspondance confidentielle entre un client et son conseil. Il demande un euro de dommages et intérêts et une publication du jugement. Pour Me Dubois, pas de doute: "ce petit mot" est "évidemment" protégé par le droit d'auteur: il est emprunt d'un "style littéraire particulier qui reflète la personnalité de Michel Houellebecq".

On est bien loin d'un petit mot anodin, le romancier ne demande pas "j'ai besoin de me moucher, auriez-vous un kleenex", a-t-elle plaidé, c'est "comme si Sempé faisait un petit dessin à son avocat". Ce procès contre un journal auquel il avait refusé de parler, demandant à son entourage de faire de même, souffre d'une "contradiction substantielle", a objecté l'avocat du Monde, François Saint-Pierre. Il a invoqué le principe "d'estoppel", en vertu duquel "nul ne peut se contredire au détriment d'autrui". Car pour lui, ce billet ne peut à la fois être vu comme une "oeuvre littéraire", qui a vocation à être publiée, et comme une correspondance client/avocat, destinée à ne pas l'être. Et ce d'autant que, selon le compte-rendu fait par Le Monde de l'audience de 2002, le conseil de l'écrivain avait évoqué ces quelques mots dans sa plaidoirie. Et qu'un journaliste n'est pas tenu à ce secret.

Toute phrase de Michel Houellebecq est-elle une oeuvre d'art ?

Nulle contradiction dans ces deux griefs, selon l'avocate de Houellebecq, mais un "concours de textes" de loi. "C'est pure malveillance" que de faire au Monde ce procès, a poursuivi Me Saint-Pierre, comprenant que l'audience était, il y a quatorze ans, "forcément extrêmement douloureuse" pour Michel Houellebecq, il est "évident qu'à l'époque il s'est senti piégé" par la publication de ces propos dans Lire. Il souligne aussi que c'est l'ancien avocat de l'auteur qui a consenti à transmettre à la journaliste la reproduction du billet, avec "cette précaution, cette coquetterie, cet orgueil , je ne sais pas", a glissé Me Saint-Pierre, de lui demander de créditer "Collection Emmanuel Pierrat".

"Est-ce que toute phrase" de Michel Houellebecq est "ipso facto une oeuvre d'art"?, s'est interrogé le conseil du quotidien, pour mieux insister sur le fait que pour lui, ces mots sont "d'une banalité affligeante". "Ce qu'on vous demande, c'est une censure", a-t-il ajouté, défendant une information d'intérêt général. En raison de cette action en justice qui n'est à ses yeux "pas sérieuse du tout", il demande 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive. La journaliste qui a signé les articles, Houellebecq l'a "stigmatisée de façon cruelle, malveillante", a ajouté l'avocat, et l'a même "insultée de façon ordurière" dans le prochain Paris Match: "Désolé, cette fois, on ne laissera pas passer", a averti Me Saint-Pierre. Pour le procès du jour, le tribunal rendra son jugement le 8 septembre.

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