Prix Goncourt : le livre du lauréat, Mohamed Mbougar Sarr, "a littéralement scotché" le critique littéraire François Busnel

"C'est un livre qui m'a littéralement scotché, une fresque impressionnante, bourrée d'humour, politiquement très incorrecte et d'une prodigieuse inventivité", a déclaré le critique littéraire François Busnel, mercredi 3 novembre sur franceinfo, à propos de La Plus Secrète Mémoire des hommes, ouvrage qui vaut à son auteur, Mohamed Mbougar Sarr, de remporter le prix Goncourt 2021.

franceinfo : Quelle est l'intrigue de ce livre ?

François Busnel : C'est l'histoire d'un écrivain sénégalais contemporain qui entend parler du Labyrinthe de l'inhumain, un livre d'un auteur sénégalais nommé Elimane, publié en 1938. C'est un livre fondateur, qui a valu à son auteur d'être surnommé "le Rimbaud nègre". Et puis, tout à coup, tout s'est arrêté. La critique a cloué cet Elimane au pilori, en révélant notamment des plagiats. Du statut de Rimbaud nègre, il passe à celui d'écrivain maudit. Il disparaît totalement. Ce jeune écrivain sénégalais contemporain, qui lit ce bouquin, se dit "tiens, je vais enquêter sur lui". Mais ce qui est formidable et prodigieux, c'est que cette enquête va le conduire à repenser la colonisation, à découvrir ce que fut la traque des nazis en Amérique du Sud, l'emmener à Dakar, Haïti, New York ou encore Amsterdam. Dans La Plus Secrète Mémoire des hommes, il y a des scènes qui sont tantôt des scènes de grandes tragédie, qui vous coupent le souffle, et tantôt des scènes de grandes comédie. C'est ça, aussi, qui est formidable. Je ne dirais qu'une seule chose, pour le suspense. Tous les journalistes qui ont parlé du livre maudit ont trouvé la mort par suicide.

"Ce qui est génial avec Mohamed Mbougar Sarr, c'est que vous glissez délicatement vers Edgar Allan Poe et Stephen King. À moins qu'il ne soit un peu marabout, allez savoir."

François Busnel, critique littéraire

à franceinfo

Quel est le parcours de Mohamed Mbougar Sarr, avant qu'il ne triomphe avec ce Goncourt ?

La Plus Secrète Mémoire des hommes est son quatrième roman. À 31 ans, c'est remarquable. Les trois précédents sont passés un peu sous les radars, mais j'espère qu'on va les découvrir et les redécouvrir. Moi, je ne les avais jamais lus. J'ai découvert Mohamed Mbougar Sarr pendant l'été, en lisant ce roman qui, à mon avis, est quand même la preuve que la littérature permet de penser le monde. Parce qu'évidemment, c'est une interrogation sur les rapports entre la France et l'Afrique. C'est aussi un livre qui s'éloigne de tous les clichés misérabilistes, quitte à proposer une vision assez sombre, parfois de l'Afrique. Ce livre vient combler un manque dans le débat d'idées aujourd'hui.

Le prix Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr, est Sénégalais. Amélie Nothomb, qui elle a reçu le prix Renaudot, est belge. C'est la francophonie qui est récompensée, avec ces deux prix ?

C'est surtout la littérature, et la bonne littérature qui est récompensée, je trouve. Si ce sont des auteurs qui viennent du Sénégal ou de la Belgique qui redonnent un petit coup de force et d'éclat à la langue française, on ne peut que s'en féliciter. Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que La Plus Secrète Mémoire des hommes est sans doute l'un des meilleurs romans de cette année 2021. C'est un livre qui m'a littéralement scotché, une fresque impressionnante, picaresque, bourrée d'humour, politiquement très incorrecte et d'une prodigieuse inventivité.