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Lauréate du prix Femina essai, l'historienne Annette Wieviorka s'inscrit dans la lignée récente des autobiographies familiales juives

Le prix Femina essai, décerné au début du mois à l'historienne Annette Wieviorka, spécialiste de la Shoah, est une consécration littéraire pour un livre qui s'inscrit dans une lignée récente : celle de l'autobiographie familiale signée de descendants de juifs d'Europe de l'Est.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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L'historienne et spécialiste de la Shoah Annette Wieviorka. (JOEL SAGET / AFP)

Annette Wieviorka a reçu le prix Femina essai 2022 pour son livre intitulé Tombeaux, autobiographie de ma famille (Seuil). Un autre prix littéraire, le prix Médicis étranger, avait consacré il y a 15 ans Les Disparus, du critique américain Daniel Mendelsohn, l'un des pionniers du genre. Publiée aux États-Unis en 2006, et l'année suivante en France, cette enquête retraçait le parcours du grand-oncle de l'auteur, de sa femme et de leurs quatre filles, exterminés par les nazis en 1941 dans l'Est de la Pologne.

Pour son livre, Annette Wieviorka, qui a beaucoup aimé Les Disparus, a tenu à écrire autrement. D'une part, "ce n'est pas un livre sur la Shoah", souligne l'autrice de 74 ans. Il raconte plus largement le destin, entre l'entre-deux-guerres et les débuts de la Guerre froide, des grands-parents et d'autres membres de deux familles juives polonaises. Elle y rend hommage à ces immigrés chassés par l'antisémitisme, qui se sont insérés patiemment dans la société française des années 20 et 30. D'autre part, "le choix de décrire l'enquête a été celui de Mendelsohn (...) Bien des livres ont suivi sur ce modèle. Ce que je n'ai pas fait", ajoute-t-elle.

Rigueur historique

Le plus connu est signé Ivan Jablonka, historien qu'Annette Wieviorka connaît bien pour avoir cosigné avec lui en 2013 Nouvelles perspectives sur la Shoah. L'année précédente, il avait fait paraître Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (également au Seuil), sur Matès et Idesa Jablonka, assassinés à Auschwitz.

Des auteurs méconnus ont exploré cette voie ces dernières années, chez de petits éditeurs : Odile Suganas, Anny Bloch, Franck Fajnkuchen, Jean-Bernard Fortis. "Le récit historien de tragédies familiales est en passe de devenir un genre éditorial à part entière. Tant mieux si cela nous donne des livres comme celui d'Annette Wieviorka", écrivait en août sur Twitter un autre historien, André Loez.

"Post mémoire"

À côté de ces ouvrages qui insistent sur leur rigueur historique, une littérature plus libre s'est développée. Elle est l'oeuvre de romancières qu'on peut rattacher au courant de la "post-mémoire" : en 2021, Anne Berest avec La Carte postale, prix Renaudot des lycéens, cette année Cloé Korman avec Les presque soeurs, voire Lola Lafon qui évoque sa famille dans un livre sur Anne Frank, Quand tu écouteras cette chanson.

"Je ne suis pas historienne. En revanche j'essaie d'en avoir la rigueur. C'est presque quatre ans d'un travail très intense avec l'espoir que, quand on lit le livre, on ne lit pas le travail", déclarait à l'époque Anne Berest. La journaliste Sonia Devillers a retracé le parcours de ses grands-parents juifs roumains dans Les Exportés. Selon elle, "aux enfants d'exilés, il y a une partie du voyage qu'on ne raconte jamais. C'est aux héritiers non traumatisés de refaire le voyage à l'envers", confiait-elle en septembre dernier.

"Il faut considérer les générations", explique Annette Wieviorka. Elle relève que toutes ces autrices sont quadragénaires, nées au moment où elle-même commençait à amasser de la documentation sur tous ses ascendants évoqués dans "Tombeaux".

En écrivant ce livre, "bien sûr, j'ai appris des choses. Et j'ai surtout appris ce qu'on ne peut pas apprendre", dit l'historienne. "J'ai pris conscience, alors que j'ai écrit tout un livre sur Auschwitz et que j'y suis allée à de nombreuses reprises, qu'on ne pouvait pas savoir exactement qui était entré aux camps et qui n'y était pas entré", explique-t-elle. Et que concernant ceux qui y sont morts, "on ne pouvait pas connaître, sauf s'il y avait un témoignage, ce qui s'était passé, faute d'archives".

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