Cet article date de plus de huit ans.
Pour Annaud, Umberto Eco était : "un modèle, un personnage inoubliable"
Ami de 30 ans de l'écrivain italien Umberto Eco dont il a adapté le roman "Le Nom de la rose" au cinéma, le réalisateur français Jean-Jacques Annaud évoque un "personnage inoubliable", un "modèle".
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Comment décririez-vous Umberto Eco?
"C'est un modèle, un personnage inoubliable. L'humain, le bipède, préféré de ma vie. C'était à la fois un immense érudit et un très bon vivant. Je me rappelle qu'un jour, j'entends un magnifique solo de flûte, c'était Umberto qui interprétait Vivaldi. Après, on est allés manger dans un bistrot du coin, des pâtes au fromage dont il s'est goinfré. C'était ça, Umberto. Un personnage d'une gaieté folle.
Les sujets les plus triviaux l'intéressaient. Je me souviens avoir visité avec lui une industrie de confection en Italie. il était fasciné de voir comment les dames cousaient les chemises, la provenance du textile ... Il avait une sorte de gourmandise, de joie à patauger dans la connaissance. Tout l'intéressait. Il avait aussi une mémoire incroyable. Je me souviens lui avoir raconté des anecdotes de tournage. Dix ans après, il me les racontait en détails, avec son talent de conteur, alors que je les avais déjà oubliées".
Comment s'est passé le tournage du "Nom de la Rose" ?
"C'était assez formidable, on avait construit un énorme décor. C'était un film cher pour lequel on n'avait pas assez d'argent. J'avais un producteur allemand puisque personne en France n'avait voulu s'aventurer dans ce livre complexe et dans ce film. On me disait: personne ne s'intéressera à des histoires de moines. Nous avons tourné en 14 semaines alors qu'il en aurait fallu une vingtaine. C'était chargé mais je me suis merveilleusement entendu avec les acteurs, avec Sean Connery. Umberto, lui, était catastrophé par ce choix jusqu'au moment où il a vu le film, m'a embrassé chaleureusement et dit : ce que je craignais le plus, c'est peut-être ce que tu as réussi de mieux. Le personnage de Sean Connery est magnifique Néanmoins, même s'il était un peu irrité au début du choix de Sean Connery, il m'a laissé libre.
Je dis souvent à mes confrères que je leur souhaite d'avoir un jour un rapport aussi harmonieux, aussi compréhensif et aussi amical que celui que j'ai eu avec Umberto".
Reportage France 3 (B.Aparis / J.Blanc), après le décès de l'écrivain
Quels étaient ses liens avec la France?
"Il avait un appartement à Paris (dans le 6e), il venait très régulièrement sans le dire à personne. Il était très lié à ses éditeurs chez Grasset et parlait français admirablement: c'était le seul qui ne disait pas des "ours" (avec le s sonore à la fin) mais des "our" (sans prononcer le s) car c'est comme ça que ça se prononce au pluriel mais c'était la seule personne au monde qui le savait. Il adorait flâner dans Paris, faire les librairies, les musées, d'ailleurs "Le pendule de Foucault" se situe aux Arts et Métiers. Il était très féru de littérature française, lisait régulièrement les journaux français et regardait France 2. C'était quelqu'un de très francophile".
Umberto Eco s'attendait-il à un tel succès ?
"Umberto n'a jamais cru que ça allait être un roman célèbre. Il a plus ou moins écrit ce livre comme un gag pour ses étudiants, en rajoutant des éléments d'érudition qui n'étaient pas faits pour être lus. Quand il a appris les résultats des ventes en Allemagne et en France, il n'en revenait pas, moi non plus d'ailleurs. Je croyais avoir acquis les droits d'un livre obscur que personne ne lirait. Il était tellement convaincu que son livre ne marcherait pas qu'il l'a vendu pour une bouchée de pain, qui lui a permis d'acheter seulement la moitié d'une voiture d'occasion de couleur orange, qu'on appelait la langouste.
Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas pu finir "Le Nom de la rose" parce qu'ils l'ont pris trop à la lettre, ils n'ont pas compris qu'il se moquait lui-même de cette érudition et en jouait. Il avait mélangé les ficelles du polar et l'érudition acquise avec l'écriture de sa thèse sur "Le sens du beau chez Saint-Thomas d'Aquin".
"C'est un modèle, un personnage inoubliable. L'humain, le bipède, préféré de ma vie. C'était à la fois un immense érudit et un très bon vivant. Je me rappelle qu'un jour, j'entends un magnifique solo de flûte, c'était Umberto qui interprétait Vivaldi. Après, on est allés manger dans un bistrot du coin, des pâtes au fromage dont il s'est goinfré. C'était ça, Umberto. Un personnage d'une gaieté folle.
Les sujets les plus triviaux l'intéressaient. Je me souviens avoir visité avec lui une industrie de confection en Italie. il était fasciné de voir comment les dames cousaient les chemises, la provenance du textile ... Il avait une sorte de gourmandise, de joie à patauger dans la connaissance. Tout l'intéressait. Il avait aussi une mémoire incroyable. Je me souviens lui avoir raconté des anecdotes de tournage. Dix ans après, il me les racontait en détails, avec son talent de conteur, alors que je les avais déjà oubliées".
Comment s'est passé le tournage du "Nom de la Rose" ?
"C'était assez formidable, on avait construit un énorme décor. C'était un film cher pour lequel on n'avait pas assez d'argent. J'avais un producteur allemand puisque personne en France n'avait voulu s'aventurer dans ce livre complexe et dans ce film. On me disait: personne ne s'intéressera à des histoires de moines. Nous avons tourné en 14 semaines alors qu'il en aurait fallu une vingtaine. C'était chargé mais je me suis merveilleusement entendu avec les acteurs, avec Sean Connery. Umberto, lui, était catastrophé par ce choix jusqu'au moment où il a vu le film, m'a embrassé chaleureusement et dit : ce que je craignais le plus, c'est peut-être ce que tu as réussi de mieux. Le personnage de Sean Connery est magnifique Néanmoins, même s'il était un peu irrité au début du choix de Sean Connery, il m'a laissé libre.
Je dis souvent à mes confrères que je leur souhaite d'avoir un jour un rapport aussi harmonieux, aussi compréhensif et aussi amical que celui que j'ai eu avec Umberto".
Reportage France 3 (B.Aparis / J.Blanc), après le décès de l'écrivain
Quels étaient ses liens avec la France?
"Il avait un appartement à Paris (dans le 6e), il venait très régulièrement sans le dire à personne. Il était très lié à ses éditeurs chez Grasset et parlait français admirablement: c'était le seul qui ne disait pas des "ours" (avec le s sonore à la fin) mais des "our" (sans prononcer le s) car c'est comme ça que ça se prononce au pluriel mais c'était la seule personne au monde qui le savait. Il adorait flâner dans Paris, faire les librairies, les musées, d'ailleurs "Le pendule de Foucault" se situe aux Arts et Métiers. Il était très féru de littérature française, lisait régulièrement les journaux français et regardait France 2. C'était quelqu'un de très francophile".
Umberto Eco s'attendait-il à un tel succès ?
"Umberto n'a jamais cru que ça allait être un roman célèbre. Il a plus ou moins écrit ce livre comme un gag pour ses étudiants, en rajoutant des éléments d'érudition qui n'étaient pas faits pour être lus. Quand il a appris les résultats des ventes en Allemagne et en France, il n'en revenait pas, moi non plus d'ailleurs. Je croyais avoir acquis les droits d'un livre obscur que personne ne lirait. Il était tellement convaincu que son livre ne marcherait pas qu'il l'a vendu pour une bouchée de pain, qui lui a permis d'acheter seulement la moitié d'une voiture d'occasion de couleur orange, qu'on appelait la langouste.
Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas pu finir "Le Nom de la rose" parce qu'ils l'ont pris trop à la lettre, ils n'ont pas compris qu'il se moquait lui-même de cette érudition et en jouait. Il avait mélangé les ficelles du polar et l'érudition acquise avec l'écriture de sa thèse sur "Le sens du beau chez Saint-Thomas d'Aquin".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.