"Nous nous verrons en août" de Gabriel García Márquez : un roman posthume à la rencontre du désir
Publié aux éditions Grasset mercredi 13 mars, rien ne destinait Nous nous verrons en août à parvenir aux mains des adeptes de l’auteur colombien. Ce récit, qui est l’ultime roman de Gabriel García Márquez, n’avait jamais fait l’objet d’une parution telle qu’elle a lieu dix ans après le décès de l’écrivain. Dévoilé en partie via des lectures publiques ou dans la presse, ce texte qui convoque la quotidienneté et le désir n’avait pas vocation à devenir un livre. À la fin de sa vie, Gabriel García Márquez s’était en effet prononcé en faveur de la destruction du manuscrit.
L’histoire : "Chaque 16 août à la même heure elle faisait le même voyage, prenait le même taxi, s'arrêtait chez la même fleuriste et, sous un soleil de feu, dans ce même cimetière indigent, venait poser un nouveau bouquet de glaïeuls sur la tombe de sa mère." Ana Magdalena Bach a 46 ans, deux enfants, un mari chef d'orchestre, une existence paisible. Tous les étés, elle se rend sur une île afin de se recueillir sur la sépulture de sa mère. Lors d’un de ses voyages, une rencontre la bouleverse et amorce de nouvelles aspirations.
Nous nous verrons en août façonne le portrait d’une femme en proie à l’émergence de désirs. À l’aube de ses cinquante ans, Ana Magdalena Bach fait pour la première fois l’expérience d’une sexualité adultère. Dans ce très court roman, Gabriel García Márquez multiplie les récits de rencontres et les scènes érotiques. L’auteur sonde les sentiments et écrit les effets de ces éveils sur le quotidien de la protagoniste, sur la vie intime et conjugale.
Un projet sur "les amours de personnes âgées"
Gabriel García Márquez a commencé l’écriture de ce court roman en 1999, année qui marque, d’après son entourage, le début de la démence sénile de l’écrivain. Le prix Nobel colombien travaillait alors à un ouvrage composé de cinq récits autonomes autour d’Ana Magdalena Bach. Selon la journaliste espagnole Rosa Mora, ces intrigues devaient être complétées par trois autres romans ayant pour dénominateur commun d’évoquer "les amours de personnes âgées". Nous nous verrons en août est le seul à avoir été rédigé par l’auteur.
"Ce livre ne marche pas, il n’y a qu’à s’en débarrasser" : les fils de Gabriel García Márquez, qui sont à l’origine de la publication, rappellent dans une postface que l’écrivain, qui avait longuement travaillé aux histoires d’Ana Magdalena Bach, ne voulait donc pas que ce texte paraisse. Dix ans après sa mort, Rodrigo et Gonzalo García Barcha se lancent néanmoins dans un travail d’archéologie pour lier entre eux les fragments de ce roman conservés par l’Université du Texas à Austin afin de le publier.
L’empreinte d’une œuvre
Grand auteur du temps perdu, de la solitude, de l’amour et du désir, Gabriel García Márquez a su insuffler dans ce court et dernier roman l’esprit de son œuvre. Nous nous verrons en août se construit autour d’un personnage féminin puissant, comme il en est dans Cent ans de solitude, le chef-d’œuvre de l’auteur colombien. La protagoniste avance dans un décor qui confine à l’onirisme et, sans jamais être nommé, s’impose comme le sous-continent sud-américain. Cette entité, toile de fond des textes de Gabriel García Márquez, se dévoile notamment à travers la musique qui parsème le roman, du Debussy joué dans un air typiquement cubain, Le Clair de Lune en boléro, un prélude aux nuits d’amour.
Tout en étant traversé par les thématiques qui font l’œuvre de l’écrivain, Nous nous verrons en août ne témoigne pas de l’écriture envoûtante du réalisme magique, courant littéraire faisant intervenir le merveilleux dans la quotidienneté et qui caractérise les écrits de Gabriel García Márquez. Ce dernier roman, dont l’intrigue est davantage linéaire, repose sur des mécanismes communs, des images parfois triviales et souvent clichés.
Dans la postface, les fils de l’auteur présentent ce récit comme "son ultime effort pour continuer à créer contre vents et marées". Même malade en effet, et alors que la mémoire lui faisait toujours davantage défaut, le prix Nobel colombien a continué à écrire, à vivre pour ce qu’il aimait, pour ce qui lui a, depuis plus d’un demi-siècle, valu la reconnaissance des lecteurs du monde entier.
Nous nous verrons en août de Gabriel García Márquez (Grasset, 119 pages, 16,90 euros).
Extrait : "Quand elle eut fini, il ne restait dans la salle que trois couples à des tables éloignées les unes des autres et, juste en face d'elle, un homme singulier vêtu de lin blanc, aux cheveux argentés, qu'elle n'avait pas vu entrer. Avec une bouteille de brandy et un verre à moitié plein posés devant lui sur sa table, il donnait l'impression d'être seul au monde.
Le pianiste attaqua le Clair de lune de Debussy dans un arrangement hasardeux pour boléro, que la jeune mulâtresse chanta avec grand sentiment. Émue, Ana Magdalena Bach commanda un gin avec glace et eau gazeuse, la seule boisson alcoolisée qui lui réussissait. La première gorgée bue, le monde ne fut plus le même. Elle se sentit délurée, allègre, capable de tout et embellie par la fusion sacrée de la musique et du gin." (Nous nous verrons en août, pages 17-18)
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