Mort du philosophe André Glucksmann, grande figure des intellectuels français
André Glucksmann était l'une des figures majeures et des plus médiatiques de la génération des "Nouveaux philosophes". Il s'est éteint le 9 novembre à Paris, à l'âge de 78 ans. "Mon premier et meilleur ami n'est plus. J'ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial. Voilà, mon père est mort hier soir", écrit le réalisateur Raphaël Glucksmann en hommage à son père.
Reportage : D. Wolfromm et P. Fremont
Malade depuis des années, "il avait plusieurs cancers, il s'est vraiment battu", a confié l'un de ses éditeurs à l'AFP. "L'indignation, le sort des peuples, la rigueur de l'intellectuel : André Glucksmann guidait les consciences. Sa voix manquera", a affirmé le Premier ministre, Manuel Valls.
François Hollande a également rendu hommage au philosophe, un homme qui "portait en lui tous les drames du 20ème siècle" et qui "a toute sa vie durant mis sa formation intellectuelle au service d'un engagement public pour la liberté".
Marqué à vie par l'occupation, anti-totalitaire avant toute chose
Né le 19 juin 1937, issu d'une famille juive polonaise, André Glucksmann a vécu à la première personne le drame de l'occupation allemande, perdant notamment son père, tué par les Allemands. "Il a même été mis dans les trains et sa mère a réussi à l'en sortir", a rappelé son fils ce mardi 10 novembre sur France Inter. "André Glucksmann portait en lui tous les drames du 20ème siècle", résume le communiqué de l'Elysée lui rendant hommage et rappelle que "fils de réfugiés dans les années 1930, il avait connu le sort des enfants juifs cachés pendant la deuxième guerre mondiale".Après de brillantes études, normalien, agrégé de philosophie en 1961, il publie son premier livre, "Le Discours de la Guerre" en 1968 alors qu'il est assistant de Raymond Aron à la Sorbonne. De cette époque datent ses engagements : proche du parti communiste d'abord, il participe aux événements de mai 1968, puis devient militant maoïste. En 1975, il rompt spectaculairement avec le marxisme en publiant "La cuisinière et le mangeur d'homme" où il fait le parallèle entre communisme et nazisme. Le déclic est la publication de "L'Archipel du goulag" de Soljenitsyne, en 1974, livre et auteur qui marquent profondément le philosophe français. Son virage est alors clairement entamé.
"On l'a oublié aujourd'hui mais il y a eu un vrai combat intellectuel dans le monde critique, dans le monde politique et universitaire français quand il s'agissait de parler des régimes totalitaires en particulier du communisme, et il a fait partie de ces philosophes courageux qui se sont engagés dans la vie de la cité, dans ce combat, et qui ont éclairé très tôt", a déclaré le ministre de l'Economie Emmanuel Macron.
Proche de Michel Foucault, il fait partie, avec Bernard-Henri Lévy, de ce qu'on appellera "les nouveaux philosophes". En 1977 sort l'un de ses livres les plus importants, grand succès de libreirie : "Les maîtres penseurs". A la fin des années 1970, il réussit notamment à réunir l'intellectuel de gauche Jean-Paul Sartre et l'intellectuel libéral Raymond Aron (dont il avait été l'assistant) pour faire cause commune en faveur des "boat people" quittant le Vietnam communiste.
Aux côtés de Nicolas Sarkozy, tout en se situant toujours à gauche
Il prendra toujours fait et cause contre toutes les formes de totalitarisme. Il couvre pour la presse française la chute du mur de Berlin de novembre 1989, soutient l'intervention contre la Serbie au moment de la guerre du Kosovo en 1999, et manifeste contre Vladimir Poutine et en soutien du peuple tchétchène.Se revendiquant toujours de gauche, il n'hésite cependant pas à soutenir Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2007. Il s'en éloigne ensuite Le philosophe ne supportant pas le rapprochement entre l'ancien président français et le maître du Kremlin. Dans "Une rage d'enfant" (Plon, 2006), il racontait avoir toujours été indigné par "les misères du monde".
"Pénétré par le tragique de l'histoire autant que par son devoir d'intellectuel, il ne se résignait pas à la fatalité des guerres et des massacres", dit le texte de la présidence de la République. Et de pousuivre : "il était toujours en éveil et à l'écoute des souffrances des peuples. La liberté de l'Ukraine fut l'un de ses derniers combats".
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