Mort de Milan Kundera : cinq livres incontournables d'un auteur majeur de la littérature européenne contemporaine
Décédé le 11 juillet à l'âge de 94 ans, l'écrivain tchèque Milan Kundera, naturalisé français en 1981, a écrit une dizaine de romans et recueils de nouvelles, en langue tchèque, puis en Français. Il a également écrit de nombreux essais et réflexions, notamment sur son propre travail de romancier mais aussi de manière plus générale sur le genre romanesque. Il a aussi écrit de la poésie et du théâtre. Voici une sélection de cinq livres de ce peintre inventif de l'absurdité du monde et des hommes.
"La Plaisanterie" (1967)
Ce premier roman de Milan Kundera publié à presque quarante ans raconte l'histoire de Ludvik, un étudiant communiste exclu du parti et enrôlé dans l'armée des "noirs" (les ennemis du régime) à la suite d'une "plaisanterie" qu'il a écrite sur une carte postale envoyée à une amie. La plaisanterie est un roman choral, dans lequel on entend aussi les voix de son ami musicien Jaroslav, de Kostka ou encore d'Helena, la femme de l'ami qui l'a trahi, et que Ludvik séduit pour se venger. La polyphonie deviendra l'une des caractéristiques des œuvres de Milan Kundera, sa marque de fabrique. Même si ce premier roman, publié en 1967 en Tchécoslovaquie en pleine maturation du "Printemps de Prague" a été reçu comme un pamphlet politique dénonçant l'absurdité du système soviétique mis en œuvre dans les pays satellites de l'URSS, Milan Kundera l'a toujours considéré et revendiqué comme une histoire d'amour, "unique sentiment résistant à la désillusion de l’Histoire". Une "œuvre majeure" pour Louis Aragon, auteur de la préface de la première édition française du roman. La Plaisanterie a été adapté au cinéma en 1968 par Jaromil Jireš, réalisateur de la Nouvelle Vague tchèque.
"Le livre du rire et de l'oubli" (1979)
"Tout ce livre est un roman en forme de variations. Les différentes parties se suivent comme les différentes étapes d'un voyage qui conduit à l'intérieur d'un thème, à l'intérieur d'une pensée, à l'intérieur d'une seule et unique situation dont la compréhension se perd pour moi dans l'immensité". Voilà ce que disait Kundera de son premier écrit (toujours rédigé en Tchèque) après sa fuite la Tchécoslovaquie communiste. Le livre est composé de sept récits qui constituent un tout, même si les intrigues et les protagonistes sont différents dans chaque partie. La variation s'articule autour de grands thèmes, comme la mémoire, l’oubli, le rire, l'amour, la tragédie. "C'est un roman sur le rire et sur l'oubli, sur l'oubli et sur Prague, sur Prague et sur les anges". Kundera pousse ici encore plus loin l'expérimentation narrative en faisant commenter l'action par le narrateur. On retrouve ce dispositif de "didascalies romanesques" dans L’insoutenable légèreté de l’être.
"L'Insoutenable Légèreté de l'être" (1984)
L'Insoutenable Légèreté de l'être est le cinquième roman de Milan Kundera, écrit en 1982 et publié pour la première fois en France en 1984. Il raconte les destins croisés de quatre personnages, en plein "Printemps de Prague" puis pendant l'invasion soviétique. Tomas est un séduisant chirurgien plein de contradictions, déchiré entre ses pulsions libertines et son amour pour sa jeune épouse Tereza, serveuse puis photographe à Prague, qui incarne l'amour pur et la fidélité. Tomas a aussi une maîtresse, Sabine, artiste peintre. Figure de femme indépendante et libre, elle est la légèreté, en opposition à la gravité de Tereza, ou celle de Franz, l'amant Suisse de Sabine, hanté par la culpabilité. Grand roman d'amour, L'Insoutenable légèreté de l'être est aussi une méditation sur la mort et sur la fin de la "Vieille Europe". Ce roman a été adapté en 1988 au cinéma par Philip Kaufman avec Daniel Day-Lewis, Juliette Binoche et Lena Olin.
"L'art du roman" (1995)
Dans ce livre publié en 1995 Milan Kundera expose sa conception personnelle du roman européen, qu'il qualifie d'"art né du rire de Dieu". Le genre est-il arrivé au bout de sa route, s'interroge le romancier. Composé de sept textes de formes variées, consacrés ici à Broch, là à Kafka, cet essai est un hommage à tous les auteurs qui l'ont inspiré, de Rabelais à Cervantès, Sterne, Diderot, Flaubert, Tolstoï, Musil, Gombrowicz. Milan Kundera invite aussi le lecteur dans les coulisses de sa création, à travers deux dialogues où il parle de son "ego expérimental" (personnage), de la polyphonie, de la composition, autant de sujets d'études qui ont nourri son œuvre.
"La fête de l'insignifiance" (2014)
Ultime roman de Milan Kundera, publié plus de dix ans après le précédent (L'ignorance, 2003), La fête de l'insignifiance, est composé de sept actes qui mettent en scène quatre hommes. Alain, Ramon, Charles et Caliban. Les quatre amis devisent en parcourant les allées du Luxembourg, libérés de toute quête oppressante (le privilège de l'âge). La fête de l'insignifiance met aussi en scène des figures de l'ex-URSS (Staline Khrouchtchev, Kalinine, Molotov…), l'occasion pour le romancier d'évoquer "une époque dont il ne restera plus de traces". Que reste-t-il aux hommes quand le temps a passé ? "Les amis", répond un narrateur omniscient. Mais aussi le rire qui n'a cessé de guider l'œuvre et l'esprit de ce grand romancier. "C'est seulement depuis les hauteurs de l'infinie bonne humeur que tu peux observer au-dessus de toi l'éternelle bêtise des hommes et en rire".
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