Mélenchon, séduction, érudition ... Mais qui est donc Jean d'Ormesson ?
L'œil rieur, près de 90 ans et des livres qui se vendent comme des petits pains... On croit tout savoir de Jean d'Ormesson pour l'avoir si souvent vu, à la télévision, converser de tout et de rien. Et si cet homme était plus insaisissable qu'on ne le croyait ?
Quel plus beau cadeau pour Jean d'Ormesson ? L'écrivain, 90 ans le 16 juin prochain, voit vendredi 17 avril ses œuvres publiées dans la somptueuse édition de La Pléiade de Gallimard. Un privilège auquel seuls seize auteurs, rappelle Le Figaro, ont eu accès de leur vivant (le dernier, en 2014, était le poète suisse Philippe Jaccottet, à l'audience plus confidentielle). Tirée à 20 000 exemplaires et préfacée par l'historien Marc Fumaroli, cette première édition rassemble Au revoir et merci (1966), La Gloire de l'Empire (1971), Au plaisir de Dieu (1974) et Histoire du juif errant (1990).
Hospitalisé après un malaise, l'académicien ne pourra pas, comme prévu, être l'invité de "La Grande Librairie" sur France 5, pour une émission exceptionnelle. Un regret, car ses lecteurs et lectrices guettent, à chacune de ses apparitions médiatiques, les traits d'esprit de cet auteur brillant et railleur, qui dissimule quelques paradoxes. Qui êtes-vous, Jean d'Ormesson ?
Un aristocrate ami de Mélenchon
Etonnant, non ? Particule et sens des convenances obligent, Jean d'Ormesson, qui a longtemps présidé aux destinées du Figaro, n'est évidemment pas de gauche. En 2007 comme en 2012, il a soutenu Nicolas Sarkozy. Mais, aux yeux de cet aristocrate, les différends idéologiques nuisent peu aux affinités.
Il déclare ainsi au Point, le 9 avril dernier, avoir "beaucoup aimé Mitterrand" et s'être lié d'amitié avec Jean-Luc Mélenchon. Un goût commun pour les livres, l'histoire de France et, malgré des divergences de vue, la période révolutionnaire explique qu'il y ait "peu de personnes" avec qui il ait "autant de plaisir à parler que Jean-Luc Mélenchon", avoue-t-il sur France 2, le 2 octobre 2011.
Où a-t-il rencontré le député européen ? Sur le plateau d'une émission de télévision, terrain naturel pour ces deux bêtes de scène. "Mélenchon s'est montré sauvage avec Alain Minc, et puis il s'est tourné vers moi et a été délicieux", rapporte Le Point. L'ancien sénateur de l'Essonne l'aurait même appelé récemment au téléphone pour déplorer : "On ne se voit jamais !" Aussitôt dit, aussitôt fait, avec une troisième convive, Hélène Carrère d'Encausse. La spécialiste de la Russie et le dirigeant Front de gauche se seraient, paraît-il, "entendus comme larrons en foire. Vous savez sur qui ? Sur Poutine".
Un Casanova "sympathisant des homosexuels"
Livrera-t-il un jour le récit de ses frasques ? Pas sûr : Jean d'Ormesson appartient à une génération et à un milieu qui ne se livraient guère. Dans Qu'ai-je donc fait (éd. Pocket), un de ses nombreux romans autobiographiques, il écrit modestement "avoir aimé trois ou quatre femmes".
Il a tout de même donné à Gala, mardi 14 avril, un avant-goût de ses débauches : "Mais, ma pauvre enfant, j’ose à peine vous dire à quel point j’ai connu les femmes. Ça m’est venu à 21 ans et, à partir de là, ça a eu des conséquences désastreuses."
Le magazine le poussant à s'encanailler, il confesse : "J’aimais aussi les hommes. J’ai souvent dormi avec des homosexuels, j’aime leur compagnie. Un jour, je suis allé à Venise où j’ai pris une chambre avec mon neveu et l’hôtelier a dit 'Ah oui, nous avons aussi reçu monsieur Gide et son neveu'. Le quiproquo nous a fait rire." A la question de l'hebdomadaire people : "Etes-vous en train de me dire que vous êtes homosexuel ?" Il répond : "Non. Mais je tiens à souligner que je suis un de leurs sympathisants." Sympathisant, donc. Restons-en sur ce mystère.
Un puits d'érudition
Faut-il y voir la marque d'un normalien à l'ancienne, nourri aux humanités classiques ? Par sa mémoire et l'étendue de sa culture, l'octogénaire Jean d'Ormesson en remontre à ses cadets. A en croire L'Express, il l'a encore démontré en mars dernier, lors du "déjeuner des best-sellers 2014" organisé par l'hebdomadaire, avec (entre autres) le Goncourt 2013, Pierre Lemaitre, la romancière Amélie Nothomb, le Renaudot 2014, David Foenkinos, et la meilleure vendeuse de livres 2014, Valérie Trierweiler.
Jean d'Ormesson, selon le journal, "mandate d'emblée Maylis de Kerangal pour lui procurer un bloody mary". Ni l'alcool ni l'âge n'entament sa mémoire littéraire. Quand le directeur de la rédaction du magazine, Christophe Barbier, récite Apparition ("La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs/Rêvant, l'archet aux doigts dans le calme des fleurs ..."), il sera seul à reconnaître les vers de Stéphane Mallarmé. "Même si je suis sourd !" s'exclame Jean d'Ormesson.
Cette érudition ne se cantonne pas aux classiques - ou aux symbolistes. Le 11 décembre 2014, "La Grande Librairie" consacrait une émission spéciale aux "20 livres qui ont changé votre vie". Parmi les invités venus parler de leur ouvrage préféré, l'acteur François Cluzet évoque avec émotion le roman La Gana de Fred Deux, devant un parterre pantois et stupéfait. Une chronique de la vie d'un couple de gardiens d'immeuble et de leur enfant dans une cave, sous forme de cauchemar presque irréel. "Je ne connais pas", admet l'animateur et critique littéraire François Busnel. Personne n'en avait entendu parler sauf... devinez qui ? Jean d'Ormesson, qui confirmait : "C'est un grand livre."
Un malade altruiste
Tourbillon spirituel, il a beaucoup amusé. Puis il s'est éclipsé des médias, rattrapé par la maladie. En rémission, il a parlé de ce cancer, sur RTL, le 24 septembre 2013 : "J'ai senti à quel point j'étais privilégié, a-t-il déclaré au journaliste Bernard Lehut. Les gens m'ont aidé (...) et ce n'est pas seulement une question d'argent. Je pense aux gens qui sont malades et qui ne connaissent personne : qu'est-ce qu'ils font ? Je pense à tous ceux qui n'ont pas les moyens de se débrouiller avec tous ces papiers, avec tout ça... C'est effrayant."
Et, continue-t-il, "je garde un souvenir merveilleux de l'hôpital. Je leur ai dit que j'étais très triste de partir d'ici parce que les gens sont formidables, formidables, tous ! Il y avait des infirmières de toutes les races, de toutes les croyances, tout ça était épatant." Avant de conclure : "Je suis sorti de cette épreuve avec les idées que j'avais en y entrant, mais socialement avec une teinture d'extrême gauche. Les gens sont malheureux et il faut absolument essayer de rétablir l'égalité des chances, d'abord au début de la vie, ensuite à l'école et ensuite à la fin de la vie, dans la maladie". Plus que jamais, la devise britannique "Never explain, never complain" ("Ne jamais expliquer, ne jamais se plaindre") reste celle d'une certaine élégance, signée Jean d'Ormesson.
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