Lutte contre le terrorisme, opérations extérieures, Seconde Guerre mondiale... trois livres racontent l'expérience de la guerre
Roman, récit ou analyse : trois auteurs publient ces jours-ci des livres qui plongent les lecteurs dans l'épreuve des conflits. Les dernières heures d'un officier avant son exécution, une réflexion sur l'engagement ou encore un retour sur 60 ans de guerres françaises.
Au Sahel ou aux frontières de l'Ukraine, à bas bruit ou à haute intensité, la guerre s'impose chaque jour dans l'actualité. Trois auteurs ont cherché à dépasser le simple commentaire, et à en exposer le côté terriblement humain, la réalité si particulière, les raisons d'un succès ou d'un désastre. Un roman, deux essais, un même thème mais trois angles d'attaque différents : trois livres denses.
"Sombre éclat" : une balle en plein cœur
C’est une histoire vraie, aussi vraie que sait l’être parfois la fiction. Près d’Amiens, le 7 juin 1940, est exécuté le capitaine français Charles Ntchorere, qui, avec ses troupes, a, durant cinq jours, repoussé l’avancée allemande à un contre dix. Héroïque. C’est avec une balle dans le cœur que se termine la vie de Charles Ntchorere, mais que commence le roman écrit par Jean-Marie Quemener.
Un roman court et dense, comme le sont les dernières heures de cet officier, combattant distingué pendant la Première Guerre mondiale, et rare Africain à commander Noirs et Blancs d’une même unité. En face, du bon côté de l'arme, le Hauptmann Karl von Dönhoff, aristocrate prussien. Charles et Karl. "L’animal, le singe, le nègre, la bête de zoo", pense Karl de Charles. Qui lui répond en citant Kant. Le dialogue entre les deux hommes, le Français humaniste et l'Allemand inflexible, va inverser le rapport de forces. L'Allemand tient le pistolet, le Français le crachoir, et petit à petit, les ennemis se découvrent, et tissent une étrange relation : la guerre est leur lien, l’honneur leur bien commun. Chacun convoque des souvenirs, invoque l’histoire, évoque la mort. "Devineriez-vous que mon sang est tout aussi rouge que le vôtre, mes os tout aussi blancs", assène Charles Ntchorere, "Sous la boue, nous sommes tous marrons, et derrière un bureau, tous pâlichons."
Mais même si l’animosité brute entre le Noir et le Blanc, le Français et l'Allemand, l’officier prussien et le tirailleur monté en grade laisse, phrase après phrase, place au respect, l’histoire n’est pas rejouée. Karl von Dönhoff tire, Charles Ntchorere meurt. "Adieu, mon ami", lâche l’officier de la Wehrmacht, devant le cadavre de celui qu’il appelait "le primate" quelques heures avant. L’écrivain et journaliste Jean-Marie Quemener trouve dans Sombre éclat des traces d’humanité : la guerre est faite par des ennemis de circonstance, des hommes pas si éloignés les uns des autres, malgré les différences.
Sombre éclat, de Jean-Marie Quemener, éditions Plon
"Corps et âme" : la guerre sans fard
"Je n’avais pas envie de faire le récit de mes campagnes", prévient Nicolas Zeller. Médecin militaire, après des années d’engagements opérationnels, notamment avec les forces spéciales, il couche sur le papier un ensemble de réflexions sur l’engagement, la mort, le courage. Son éditeur le presse de raconter, quand même, des épisodes de sa vie militaire, alors Nicolas Zeller, à la lecture de son premier jet, étoffe son manuscrit, se dévoile un peu pour nous faire comprendre beaucoup.
"Grâce à Nicolas Zeller, nous voici plongés au cœur des opérations. Sans tabou, sans omerta. (...) Une suite de bouleversants rendez-vous. Le corps avec l'âme. La crasse avec le sang et les larmes. L'héroïsme avec la peur. Les jeux vidéo, les films porno, le body-building, le culte de soi avec la plus haute élévation et le dévouement total."
Erik Orsennadans la préface de "Corps et âme"
Participer à chasser Daech de Mossoul en 2015, sous les pilonnages, dans "la crasse, le sang et les larmes", c’est s’interroger sur le prix du sang, sur cette "mort qui nous saute aux yeux, qu’on le veuille ou non". Faire partie du groupe qui chasse des jihadistes responsables d’un massacre à Ouagadougou en 2016, patauger dans des flaques de sang, c’est ensuite comprendre pourquoi un sous-officier pourtant aguerri, souvent rigolard, jette l’éponge : "J'ai signé pour l’aventure, pas pour ça".
Corps et âme est sans fard, ce que revendique Nicolas Zeller. "On a tendance à vendre et à lire des choses un peu trop bonbon au miel, poursuit-il. Moi, je voulais de la franchise, de la vérité, de la conviction. Faire entendre aux plus jeunes que la guerre n’est pas un jeu vidéo. Je ne voudrais plus entendre de jeune soldat regretter qu’on ne leur ait pas tout dit lors de leur engagement."
Tout l’intérêt des récits et des enseignements du médecin militaire tient à ça, à cette vérité brute à parler courage et lâcheté, pleurs et rires, combats et ennui. "Merci de nous avoir parlé en vérité", disent à l’auteur des élèves officiers de Saint-Cyr, où il vient de présenter son livre. Nicolas Zeller sourit en y repensant : "C'est le plus beau compliment".
Corps et âme, de Nicolas Zeller, éditions Tallandier
"Le Temps des guépards" : les opérations françaises disséquées
Il y a des livres qui sont aidés par les circonstances. Au moment où, après des années de silence, de distance, des élus s’interrogent sur l’opération Barkhane, Michel Goya impose le "retex" (retour d’expérience) ultime, l’analyse de 60 ans de guerres françaises, de 32 "opex" (opérations extérieures). Ici, pas de récits de combats, pas de témoignages – il y en a ailleurs, dans d’autres ouvrages –, mais une autopsie des engagements français à travers le monde.
Avec un scalpel (et du recul), l’ancien officier des troupes de marine devenu historien dissèque les interventions décidées parfois en un claquement de doigts par les présidents de la Ve République. Pourquoi en un claquement de doigts ? Parce qu’ils le peuvent. Mais ce n’est pas ça, le sujet du Temps des guépards. Le sujet, au fond, c’est : où avons-nous gagné, où avons-nous perdu ? Et pourquoi ?
Un but précis, une finalité claire, et c’est une victoire des militaires. C’est l’opération Daguet (en coalition, sous commandement américain) pour libérer le Koweït en 1991. C’est Serval, en 2013, pour stopper l’avancée jihadiste du Nord Mali vers le sud du pays. Mais un objectif fourre-tout comme "lutter contre le terrorisme", avec une doctrine tout aussi vague, "gagner les cœurs et les esprits", et des alliés faibles, c’est Barkhane, où les succès tactiques ne suffisent pas à ramener la sécurité dans les villes et villages. Comme l’écrit Michel Goya à propos des opex, "mieux vaut ne pas être présent trop longtemps (…) dans une zone de conflit qui ne pourra être stabilisée en moins de trois ans. Au-delà de ce délai, il sera souvent difficile de se retirer". Et on n’accusera pas le colonel Goya de jouer les opportunistes : cette conviction, il la martèle – sur les ondes, sur son blog La voie de l’épée – depuis des années.
Le Temps des guépards, de Michel Goya, éditions Tallandier
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.