"Les murs tremblent, mais ne cèdent pas encore" : pour la journée internationale des droits des femmes, focus sur quatre combats féministes racontés par quatre autrices

Elles sont juriste, journaliste, agrégée ou maîtresse de conférence et ont toutes en commun d’écrire et de parler des femmes. De Louise Labé aux victimes de l’un des premiers violeurs en série de France, elles offrent une photo de la manière dont la société maltraite les femmes, hier comme aujourd’hui. Si des avancées sont faites, "il y a encore du travail !", résume l’une d’elles.
Article rédigé par Ariane Schwab
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
De gauche à droite : Alice Géraud, Élise Rajchenbach, Julia Minkowski, Madeleine Melquiond. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Instituée par les Nations Unies, la journée internationale des droits des femmes est célébrée le 8 mars de chaque année depuis 1975. L'occasion de mettre le focus sur les combats à mener et de faire un bilan des avancées… et de tout ce qui reste à faire.

Voici quatre livres qui braquent le projecteur sur différents combats : les prémices de la prise de conscience par les femmes qu'elles sont les égales des hommes, la reconnaissance professionnelle, l'âgisme et, bien sûr, le douloureux et inévitable sujet des violences sexuelles. Quatre voix féminines qui ont accepté de nous donner leur vision de cette journée internationale des droits des femmes.

Louise Labé – La rime féminine (Calype) d'Élise Rajchenbach. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Élise Rajchenbach: "Meilleur révélateur d'un sexisme ambiant quotidien"

Louise Labé – La rime féminine (Calype) : C'est dans une cité lyonnaise perméable aux influences humanistes venues d'Italie que naît et s'épanouit Louise Labé, fille, puis épouse de cordiers. Pourtant issue d'un milieu où les jeunes filles étaient éduquées aux travaux féminins, elle fait preuve d'une étonnante érudition. Malgré la rareté des archives de ce milieu du XVIe siècle, Élise Rajchenbach, maîtresse de conférence en littérature de la Renaissance, propose un portrait de l'écrivaine au livre unique. Était-elle la courtisane à la réputation sulfureuse surnommée le "Belle Cordière" ou une épouse chaste et vertueuse ? Ce qui est certain c'est qu'elle est l'une des rares femmes à avoir publié un livre sous son nom, un "in-octavo", le format poche de l'époque, intitulé Œuvres de Louise Labé lyonnaise. Elle y livre notamment un savoureux débat entre la folie et l'amour et appelle les femmes à "élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux", relayant le message envoyé un siècle plus tôt par Christine de Pizan. Des textes qui résonnent toujours autant, 450 ans après sa mort.

Le 8 mars pour Élise Rajchenbach : "La journée internationale des droits des femmes n'a de valeur, à mon sens, qu'en tant qu'elle encourage à œuvrer toute l'année à désinvisibiliser les autrices, artistes, créatrices, à révéler inlassablement et à combattre les violences que les femmes subissent, à rappeler que le chemin vers l'égalité effective est encore long. Malheureusement, avec ses publicités ciblées du 8 mars pour un robot ménager, de la lingerie fine ou un bon d'épilation, cette journée constitue surtout le meilleur révélateur d'un sexisme ambiant quotidien. Il y a encore du travail !"

"Par-delà l’attente" (JC Lattès /Livre de poche) de Julia Minkowski. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Julia Minkowski : "Mettre fin à la précarité des droits des femmes face aux crises"

Par-delà l'attente (JC Lattès / Livre de Poche) : Dans ce premier roman, l'avocate pénaliste Julia Minkowski nous replonge dans un temps où on coupait la tête des condamnés à mort. À travers la sombre affaire des sœurs Papin, deux domestiques qui ont assassiné leurs patronnes en 1933, elle retrace l'histoire de Germaine Brière, leur avocate, première femme à être acceptée au barreau du Mans. Non sans mal. Le portait d'une "garçonne" née en 1897, dont les prétentions dérangeront au point l'entre-soi des hommes que le procureur de la République rejettera son adhésion au barreau, au motif d'une moralité douteuse. Elle fera appel de cette décision et se pliera à l'humiliation d'attester de sa virginité pour finir par obtenir le sésame tant convoité en 1930, après cinq années de bagarre.


Le 8 mars pour Julia Minkowski : "'Une crise politique, économique ou religieuse suffirait pour remettre en question le droit des femmes', mettait en garde Simone de Beauvoir. Nous assistons, hélas, chaque année, dans un pays ou dans un autre, à des reculs inexorables de droits arrachés de haute lutte dans le passé. Le 8 mars est indispensable pour dresser le bilan de l'année écoulée et mobiliser la communauté internationale, les gouvernements nationaux et chaque individu sur cet enjeu fondamental. Je souhaite à toutes les femmes d'être libres et d'exercer cette liberté sans discrimination d'aucune sorte, dans l'assurance que la persistance de leurs droits est garantie dans le temps. C'est le sens de la constitutionnalisation du droit à l'IVG en France : mettre fin à la précarité des droits des femmes face aux crises, de toute nature."

"A ceux qui nous parlent comme à des enfants - Voyage en septuagénie" (Max Milo) de Madeleine Melquiond. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Madeleine Melquiond : "Une nouvelle étape dans les luttes des femmes de tous les pays"


À ceux qui nous parlent comme à des enfants - Voyage en septuagénie (Max Milo) :  Agrégée d'histoire-géographie, diplômées de l'ENS, journaliste et pédagogue, Madeleine Melquiond dénonce cette réduction de la société qui se fait l'âge passant : "Dans la famille 'vieux', il n'y a pas de racines, pas d'histoire", on se retrouve infantilisé, réduit à la troisième personne, "la petite dame", "Elle a bien dormi", etc. "Je ne suis plus moi, j'ai disparu avec mon nom", s'insurge l'autrice de 79 ans. Pour lutter contre cette invisibilisation qui touche particulièrement les femmes, souligne-t-elle en passant, elle affirme être entrée dans "une forme de militantisme pro-vieux". Elle rappelle aux générations qui suivent que la "septuagénie" est un voyage que tous effectueront, enfin, les plus chanceux.

Le 8 mars pour Madeleine Melquiond : "Cette journée ne peut se concevoir que comme une nouvelle étape dans les luttes des femmes de tous les pays. Pour cacher sa volonté de ne pas satisfaire aux revendications du peuple français, le gouvernement d'Emmanuel Macron lui a donné un os à ronger à travers plusieurs manifestations mémorielles, la panthéonisation de ses grands héros et héroïnes, et une rhétorique républicaine en faveur des femmes. Pour la journée internationale des droits des femmes, il enjoint de fêter le 8 mars dans les écoles, et de faire de leurs revendications une variante de sa communication, cache-sexe d'une politique sociale désastreuse tant envers les femmes qu'envers tout le peuple. Le 8 mars n'est pas une énième célébration des femmes, comme, par exemple, la fête des mères instaurée par Pétain, qui glorifie la femme une seule fois par an pour occulter son exploitation quotidienne et la réduire à sa fonction procréatrice. Le 8 mars est jalonné de luttes et de mobilisations depuis bien des années : l'internationale socialiste s'est prononcée en 1910 pour le droit des femmes au suffrage universel, le 23 février 1917 (8 mars dans le calendrier grégorien), les femmes russes ont marché pour leurs droits à Pétrograd, le 8 mars 1857, les femmes ont organisé une grande manifestation contre leurs conditions de travail à New York… En 1945, les Nations Unies ont inscrit dans leur charte le principe de l'égalité des hommes et des femmes. Il ne s'agit donc pas d'une cérémonie mémorielle comme les aime le président Macron, mais d'une nouvelle étape dans la lutte des femmes. Pour ce 8 mars 2024, les organisations féministes demandent en particulier d'investir pour les droits des femmes y compris dans le budget de l'État, d'accélérer la mise au ban des violences faites aux femmes et la criminalisation des féminicides."

"Sambre, radioscopie d’un fait divers" (JC Lattès / Livre de poche) d'Alice Géraud. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Alice Géraud : "Un moment de sororité, presque une démonstration de force"

Sambre, radioscopie d'un fait divers (JC Lattès / Livre de Poche) : Dans ce récit implacable, la journaliste Alice Géraud donne la parole aux victimes du violeur en série Dino Scala, dessinant au fil des pages des "biographies sculptées par la peur, des vies atrophiées". Pendant 30 ans, il a sévi sans être inquiété dans un périmètre de 27 kilomètres, non pas parce que les femmes se sont tues, mais parce que ça n'a pas paru important. À chaque dépôt de plainte, quasiment le même scénario : la parole de la victime mise en question, sa crédibilité, comme sa dignité, foulées aux pieds par une police "gangrenée par un sexisme destructeur". Rares sont ceux qui feront preuve de respect et plus encore, leur travail. C'est grâce à la conscience de quelques-uns que le violeur sera rattrapé le 26 février 2018, soit 30 ans après la première plainte identifiée. Le procès aura lieu le 10 juin 2022 et retiendra 56 victimes de viols et d'agressions sexuelles, dont un tiers de collégiennes ou lycéennes. Sur combien de victimes réelles ? Deux seront de plus une nouvelle fois "effacées" au verdict. Alice Géraud qui y a assisté parle "d'une immersion continue dans l'horreur, le poisseux et la douleur". C'est aussi le ressenti à la lecture de Sambre. Car au-delà des crimes et de la trop longue impunité de leur auteur, il y a aussi un système en échec, des lois archaïques et une société défaillante envers les femmes.

Le 8 mars pour Alice Géraud : "J'ai longtemps regardé cette journée avec une pointe d'agacement, je voyais une journée pour se donner bonne conscience, pour défendre les droits des femmes une fois l'an, afin d'oublier tranquillement le sujet les 364 autres jours. Le mouvement MeToo me fait voir les choses tout autrement. Je vois et je ressens désormais ce 8 mars comme un moment de sororité, comme une démonstration de notre détermination commune. Je dirais presque une démonstration de force. La manifestation du 8 mars est un des endroits les plus politiquement émouvants que je connaisse. Parce qu'elle brasse des femmes de toutes générations, qu'elle charrie à la fois de la colère et de la joie. Le combat féministe est ce moment où les murs tremblent mais ne cèdent pas encore. C'est ce bruit que l'on entend dans les rues le 8 mars."

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