Le 23 novembre 1970 sortait le premier numéro de "Charlie Hebdo" : 50 ans après, Riss s'interroge sur les limites de la liberté d'expression
"En cinquante ans, on est passés d'un extrême à un autre", juge Riss, à la tête de Charlie Hebdo.
Il y a cinquante ans sortait le premier numéro de Charlie Hebdo. "Né d'un acte de censure", l'hebdomadaire satirique avait été créé pour remplacer Hara-Kiri, édité par la même équipe, qui venait d'être interdit. Riss, son actuel directeur de la rédaction s'inquiète aujourd'hui de l'évolution de la liberté d'expression.
"Une diarrhée verbale a envahi la planète"
"Le Charlie Hebdo de 1970 imaginait-il que la parole serait libérée un jour à ce point ?" interroge Riss dans l'éditorial du numéro paru le 18 novembre dernier, un "demi-siècle" après le tout premier, un 23 novembre, en réponse à une volonté du gouvernement de faire taire le mensuel Hara Kiri. Ce dernier avait titré, après le décès de De Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises le 9 novembre 1970, "Bal tragique à Colombey, un mort", une allusion satirique à l'incendie d'un dancing qui avait fait plus d'une centaine de morts ce mois-là.
Le ministère de l'Intérieur ayant décidé d'interdire l'affichage et la vente aux mineurs du mensuel, son équipe en avait lancé une version hebdomadaire - Charlie Hebdo, un clin d'oeil au général - pour contourner cette quasi-interdiction.
Charlie Hebdo, "qui revendiquait une plus grande liberté de parole", poursuit Riss, "se retrouve aujourd'hui au milieu d'une cacophonie d'opinions innombrables" notamment sur les réseaux sociaux. "Un paradoxe" pour ce journal né de la censure, à l'heure où "une diarrhée verbale a envahi la planète, et il faut déployer une vigilance surhumaine pour faire le tri (...) entre le vrai et le faux, les harcèlements et les atteintes à la vie privée, les insultes et les menaces de mort", souligne le dessinateur.
"Charlie n'a jamais contesté qu'il existe des limites"
"En cinquante ans, on est passés d'un extrême à un autre, d'une société frileuse où l'information était surveillée du coin de l'oeil par le pouvoir à une société ultra-médiatique où n'importe qui peut dire n'importe quoi publiquement, sans aucune réserve ni la crainte d'aucune sanction", déplore Riss. "Il est donc paradoxal qu'un journal comme Charlie Hebdo se retrouve aux côtés de ceux qui voudraient réguler cette liberté infinie de la parole."
"Car contrairement à ce qu'on pourrait croire, Charlie n'a jamais contesté l'idée qu'il existe des limites et que la liberté d'expression (...) ne peut justifier de propager la violence, le racisme ou le fanatisme", souligne-t-il. "Ce n'est pas la quantité immense des opinions qui sert la liberté d'expression, mais la qualité de ce qu'on publie grâce à elle", estime Riss, invitant à "réfléchir avec son petit cerveau" avant "d'ouvrir sa grande gueule". "C'est le minimum de respect qu'on doit à la liberté d'expression."
Ce 50e anniversaire survient à un moment particulier pour le journal, en plein procès des attentats qui ont décimé sa rédaction en janvier 2015, et qui fait l'objet de nouvelles menaces depuis la republication des caricatures de Mahomet le 2 septembre.
50 ans de Charlie, c'est 50 ans d'écologie, de féminisme, de défense des immigrés, de lutte contre tous les fascismes. C'est la défense de la liberté d'expression, pour l'ouvrir grand, rire, et mordre tant que, malgré les coups, il nous restera des dents https://t.co/kWamA8I9Tf
— Charlie Hebdo (@Charlie_Hebdo_) November 23, 2020
Le numéro du 18 novembre, qui retrace les tentatives de censures connues depuis la création du journal, ironise en Une sur le temps qu'il faudra à la sphère religieuse pour "se décoincer", en montrant des représentants du christianisme, du judaïsme et de l'islam pleurer de rire à la lecture d'un exemplaire de Charlie sans dessins.
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