"Mère absolument" : l’écrivaine Ketty Rouf publie un deuxième roman sans concession sur la maternité
L'histoire : Trois personnages, trois temporalités, une seule histoire... À l’aube de la quarantaine, Marie-Louise, dite Louise, s’aperçoit tout à coup que son corps se rappelle à elle. Cadre dans un hôpital, elle a toujours jusqu’ici collectionné les hommes de manière assumée, n’entendant pas sacrifier une vie de plaisir sur l’autel de la maternité. Mais le décès de sa mère concorde avec l’amorce d’un changement hormonal qui se met subitement à égrener le temps d’un corps féminin soumis à une horloge singulière. À partir de là, Louise n’a qu’une seule idée en tête, obsédante : avoir un enfant à elle, et à elle seule.
Quand l'horloge biologique se met en marche...
Forte, déterminée, bien dans son corps : tels sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit en lisant le portrait de Louise. Une liberté assumée et un désir féminin en miroir du désir masculin : "Une relation insignifiante, de moins de six mois, avec adieux sans préservatif pour essayer de croire qu’on s’était tout de même aimés."
Un jour cependant, elle ressent un besoin impérieux de devenir mère, qui coïncide avec la dégénérescence de sa propre mère. "Ce matin, je me suis réveillée avec le sentiment d’une indéfectible puissance. L’appel crie plus fort que le chagrin familial. Sandra me l’avait bien dit, un jour, tu te réveilleras et tu sentiras l’appel cogner en toi comme un coup de poing. Ce sera irrésistible." Mais l’horloge biologique s’est depuis longtemps mise en marche. Sera-t-il possible à Louise de vaincre le temps qui s’écoule désormais de manière accélérée, et de tomber enceinte ?
Derrière la maternité...
Par-delà les apparences, Mère absolument n’est pas seulement un roman de plus sur le désir d’être mère, mais il est bien plus que cela. D’autres personnages, d’abord secondaires, vont s’emparer de la narration pour donner un point de vue différent, et bien plus complexe que de prime abord. C’est en cela que le récit de Ketty Rouf, d’une plume toujours aussi crue et alerte, est intéressant. Nulle sacralisation de la maternité, nulle réflexion sur la transmission… La narratrice nous emmène dans une réflexion sur le pouvoir maternel que nous ne déflorerons pas ici, mais dont on peut seulement dire qu’il fait mouche par l’intensité de la folie qu’elle révèle. Un récit d’une grande justesse, à l’écriture qui semble parfois s’égarer le long de l’abîme, et dont on ne peut lâcher le fil jusqu’à l’épilogue.
"Mère absolument" de Ketty Rouf, paru aux éditions Albin Michel le 1er février 2024 (292 pages, 20,90 euros).
Extrait : "Je me promène dans les rues de la ville de plus en plus lentement, j’essaye l’allure du pachyderme, me mets dans la peau de celle que la grimace ne quitte pas, avec les pieds gonflés par le poids monumental des dernières semaines de grossesse. J’imagine que même les chaussures craquent et rêvent de ça. Je commence à travailler tôt le matin pour pouvoir sortir du bureau avant la fermeture des magasins et vaquer extatique entre les rayons bébé. En cette période de soldes d’hiver, j’observe la population des mères appliquées ou dépassées. Ce soir, il y en a une qui attire particulièrement mon attention. On dirait qu’elle va accoucher dans l’instant, tellement son ventre est proéminent. Ça m’impressionne, cette boule exagérément grosse. J’imagine la peau tendue, prête à craquer. Combien d’enfants porte-t-elle ? Je me dirige vers le bac des gigoteuses pour l’approcher en train de regarder le tas multicolore, sa main qui examine et caresse. Elle fait tomber une turbulette tricotée vieux rose avec de délicieux rubans. Je la ramasse et la lui tends. Je lui dis :
- Je regardais le même modèle, c’est ravissant.
- Oui, tout à fait ravissant. Regardez-moi ces prix ! En voilà une autre de la même couleur, vous la voulez ?"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.