"Le Paradis des fous", dernier roman de Richard Ford : une nouvelle tranche de vie de Frank Bascombe, bouleversé par la maladie de Charcot de son fils
Dans ce nouveau roman, on retrouve Frank Bascombe, ce personnage dont l'écrivain américain Richard Ford raconte les remous de l'existence depuis 1986, à travers une œuvre qui compose également une traversée temporelle dans l'histoire récente des États-Unis. Le Paradis des fous sort en librairie le 20 septembre 2024, sept ans après Entre nous, dans lequel le romancier américain faisait le récit de la vie de ses parents.
L'histoire : À 74 ans, Frank Bascombe coule des jours heureux dans le New Jersey, quand il apprend par sa fille Clarissa que son fils Paul est atteint de la maladie de Charcot. Il se rapproche alors de ce fils de 44 ans qui, depuis l'enfance, a toujours été un peu décalé, un "introverti indéchiffrable et givré". Tempérament qui ne l'a pas aidé à trouver sa place dans la vie.
Frank décide d'accompagner Paul à Rochester dans un protocole médical expérimental. Il devient ce que l'on appelle un "aidant" pour son fils et, en même temps, noue une étrange relation tarifée avec Betty, une jeune masseuse vietnamienne. Une fois le traitement expérimental de Paul terminé, et tout espoir envolé, plutôt que de rentrer dans le New Jersey, Frank décide d'embarquer son fils malade dans une virée vers l'Ouest, avec comme objectif ultime une visite du mont Rushmore.
Paul est sceptique, mais se laisse faire. Commence alors un étrange roadtrip dans lequel les deux hommes se disent d'une manière très particulière ce qu'ils ont à se dire, et partagent des moments tragiques, inconfortables, mais aussi des moments réconfortants.
"Quand je me demande ce que je fais là, bonne question à se poser en toute situation, je réponds que je tâche que le vivre marque un point sur le mourir, que je tâche de rester en vie pour que, au moment où mon fils quittera la vie, il ne se sente pas seul. C'est bien tout ce que je peux en comprendre."
"Le Paradis des fous"page 48
Quand il est né sous la plume de Richard Ford dans Un week-end dans le Michigan, en 1986, Frank Bascombe n'avait pas encore l'âge de Paul dans ce nouvel opus. À 38 ans, il était journaliste sportif après avoir renoncé à une carrière d'écrivain. Divorcé après avoir perdu son premier-né Ralph, à l'âge de 9 ans. Puis il était devenu agent immobilier dans Indépendance, un roman couronné par le prix Pulitzer en 1995, dans lequel son personnage partageait déjà un roadtrip avec son fils Paul, alors adolescent difficile et mutique.
"Pas de vocabulaire dédié"
On les retrouve donc tous les deux plus de trente ans plus tard. Frank est un vieil homme de 74 ans "en approche de son terme biblique", mais contraint d'accepter l'idée de voir son fils mourir avant lui. "Avoir un fils adulte qui va vraisemblablement mourir avant soi, ce n'est pas du tout ce que l'on croit. Ça ne s'apparente à rien d'autre. Pas de vocabulaire dédié, pas de sentiments homologués." p.149
Qu'est-ce que la mort ? Qu'est-ce que le bonheur, qu'est-ce que l'amour ? À travers ce roadtrip bouleversant, Richard Ford tente de répondre à toutes ces questions dans un moment critique de l'existence de son personnage fétiche. Des pistes de réponses sont esquissées, les réponses jamais où on les attend, l'ironie et l'humour comme bouclier contre le pathos.
L'écriture de Richard Ford, touffue, pesamment dialoguée, truffée de mini digressions, réclame toute l'attention du lecteur. Une attention qu'il ne faut jamais relâcher pour capter le sens profond de ce qui se déroule dans la vie intime de ses personnages, mais aussi dans celle d'un pays, les États-Unis, ses paysages et sa mythologie, que le romancier, décennie après décennie, saisit avec acuité, à travers des descriptions anodines, des détails semés ici et là, dans les décors, dans les dialogues, en arrière-plan.
Avec ce nouveau roman, Richard Ford boucle une saga humaine assez vertigineuse, qui s'inscrit dans l'histoire récente des États-Unis. À travers l'existence de son personnage, plus vrai que nature parce que totalement singulier, l'écrivain américain signe l'une des œuvres les plus emblématiques de la littérature américaine contemporaine.
Le Paradis des fous de Richard Ford, traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun (Éditions de l'Olivier, 384 pages, 24 euros, sortie le 20 septembre 2024)
Extrait :
"Dis-moi. C'est foncièrement absurde et ridicule, et c'est génial." Une lueur nerveuse dans le regard. "Il n'y a pas grand-chose dans ce monde qui soit aussi délibérément débile." Il sourit béatement, comme sous le coup d'une découverte et d'une surprise extraordinaires. D'une confirmation. Je suis purement heureux que, pour une fois, nous voyions la même chose du même œil – à peu près. C'est en effet absurde et débile. Et si ce spectacle ne répare pas complètement Paul, il le retape un peu tout de même. "On a un lien", dit-il d'un air finaud sans cesser de sourire, le regard parfaitement lucide dirigé vers les présidents. Je suis sa sous-merde préférée. (Le Paradis des fous, page 354)
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