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"La Foudre" de Pierric Bailly : un thriller alpin mélancolique sur la quête de soi

Avec ce septième roman, l’écrivain jurassien compose une grande histoire d’amour et d’émancipation sur fond d’une somptueuse ode à la nature.
Article rédigé par franceinfo Culture - Edwige Audibert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Le livre de Pierric Bailly, "La Foudre", photographié dans une librairie parisienne le 9 novembre 2023. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

L'histoire : Installé depuis l’enfance dans les montagnes du Haut-Jura où il est devenu berger à l’aube de la trentaine, John mène une existence solitaire et contemplative entre ses brebis les mois d’estive dans la vallée de la Valserine et les jobs de saisonnier l’hiver en station. Il vit avec Héloïse depuis dix ans, jeune prof d’anglais énergique et indépendante. Ils s’aiment simplement, sans bruit et sans éclat. La perspective de leur installation prochaine à La Réunion l’emballe d’ailleurs de moins en moins. Son attachement organique à la vie en altitude avec ses bêtes, au silence des forêts, indissociable de l’amour porté à son grand-père disparu, complique les choses.

Un soir d’été au chalet d’alpage, il tombe sur un vieil article de journal laissé là. Il parle d’un ancien camarade de lycée arrêté pour meurtre quelques mois plus tôt, dans la région de Lyon. Il croit d’abord à un homonyme avant de reconnaître Alexandre. Ce copain d’internat avec qui il partageait sa chambre. Un garçon adorable, hyper populaire, plus brillant, plus cultivé que les autres. Écolo convaincu, végan avant l’heure. Alexandre exerçait une fascination absolue sur lui. Il le vénérait au point de singer son rire, d’adopter sa façon de penser, avant de se détourner de lui par jalousie, suite à une brouille imbécile.

Blessures adolescentes

Bouleversé par l’article, John recontacte Nadia, l’épouse d’Alexandre, une fille du coin, elle aussi, qu’il décide de soutenir dans l’épreuve. Cette mère de famille brisée vit recluse, attendant le procès de son mari en préventive. Vétérinaire très engagé dans la cause écologiste, Alexandre et sa famille subissaient depuis des années un harcèlement inquiétant de certains chasseurs du village. Un soir, après une énième provocation, Alexandre tue l’un d’eux d’un coup de planche. Comment tout ceci a-t-il pu se produire ?

Le roman démarre comme un thriller, à la première personne. On est dans la tête de John, aux premières loges de ses émotions, de ses failles. Parce que très vite, l’irruption de ce fait-divers tragique dans son quotidien un peu morne, va bousculer sa vie, remettant au premier plan les blessures adolescentes mal cicatrisées : "Plus je vieillis et plus mon enfance et mon adolescence accroissent leur territoire", dit John.

Passion libératrice

Et c'est passionnant d'observer, dans la première moitié du roman, la manière dont le narrateur va réagir face à l’effondrement de son idéal de jeunesse, à l’aune du crime qu’il a commis. À quel moment arrête-t-on de vouloir être quelqu’un d’autre ? Une brèche s’ouvre en lui, et il se rend compte petit à petit de la prison mentale dans laquelle il s’est enfermé pendant des années, obsédé par l’ombre écrasante d’Alexandre. "On se souvient de ce qu’on rate. Enfin, je ne sais pas pour les autres, mais moi, ce sont les échecs qui me marquent, tout ce qui n’a pas marché, tout ce à côté de quoi je suis passé."

Au contact de Nadia, dont il devient le confident et l’ami pendant des mois, John se transforme, jusqu’à tomber fou amoureux d’elle. Cette passion va le reconnecter aux émotions de sa prime jeunesse. Avant les dégâts causés par l’arrivée d’Alexandre dans sa vie. "Je me rends compte que je n’ai plus rien vécu d’aussi important depuis cette époque, en tout cas d’aussi stimulant, d’aussi passionnel, voilà, c’est le mot, la passion, je suis dedans jusqu’au cou. Vivant et amoureux comme jamais. Je relâche toutes mes défenses, je ne cherche plus rien à contrer ni à maitriser, je laisse venir."

La nature, puissante matrice 

Vient le temps du procès d’Alexandre, sorte de dénouement cathartique de l’histoire, après quoi plus rien ne sera pareil pour John. Le livre prend alors une autre dimension, en forme de chronique sociale où ceux qui s’en tirent le mieux ne sont pas forcément ceux que l’on attend. Pierric Bailly se garde bien de juger ses personnages, et c’est une autre des grandes forces de ce récit au beau style limpide. À l’instar de l’omniprésence de la nature, puissante matrice vers laquelle John revient sans cesse, arpentant sans relâche les immenses forêts d’épicéas, fasciné par les mystères de la vie sauvage.

Apparaît alors en filigrane dans ces passages une réflexion très fine sur la meilleure façon de protéger cet espace. De quel côté faut-il être ? De celui de cette France rurale attachée à ses traditions ou de la radicalité qui parfois tourne mal ? Pierric Bailly ne tranche pas, mais on comprend que la première chose à faire est sans doute de commencer par s’abstenir. D’envahir, d’exploiter, de décimer des endroits qui tolèrent l’homme plus que l’inverse. Avec La Foudre, l’auteur réussit également l’exploit de revitaliser cette vieille notion d’enracinement dans un territoire, la transformant en synonyme d’espoir.

Couverture de "La Foudre" de Pierric Bailly. (EDITIONS P.O.L)

"La Foudre" de Pierric Bailly (éditions P.O.L, 458 pages, 24 euros)

Extrait

"Il est quand même tard pour appeler, je me rabats sur un SMS. Je dis à Nadia que je viens d’apprendre pour Alexandre et que je suis stupéfait, c’est le mot que j’emploie, il ne convient peut-être pas très bien mais j’ai du mal à trouver une formule adaptée. S’il était mort ou s’il avait subi un accident, ça viendrait facilement. On sait comment s’adresser à l’entourage des victimes, on sait quoi dire à ceux qui vont mal, à ceux qui souffrent. Mais qu’est-ce qu’on écrit à la femme d’un assassin ?" (La Foudre, page 22)

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