"L’Été indien" : l’écrivain Joël Baqué évoque sa jeunesse héraultaise en mode western

L’auteur de "La Fonte des glaces" revient avec un nouveau roman sur les traces du jeune homme qu’il était au mitan des années 1980. Une comédie sociale hilarante et nostalgique sur une France en train de disparaître.
Article rédigé par Edwige Audibert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Portrait de Joël Baqué, à Paris (2017). (JOEL SAGET / AFP)

"On ne guérit jamais de son enfance, soit parce qu’elle fut heureuse, soit parce qu’elle ne le fut pas." écrivait Robert Mallet dans son recueil d’aphorismes Apostilles en 1972. En l’occurrence, celle de Joël Baqué, ancien commandant de police venu à la littérature en autodidacte, ne le fut pas vraiment, heureuse. C’est le sujet de son dernier roman, L’Été indien qui vient de paraitre chez P.O.L. Un texte irrésistible où l’humour féroce l’emporte toujours sur le chagrin. Mais c’est aussi le portrait attachant d’une France rurale des années 1980, qu’on dit "périphérique" aujourd’hui. Celle des bals populaires, du service militaire, des restaurants de plage ultra-kitsch et des vies minuscules.

L’histoire : Éric Planchon serait un jeune homme exactement comme les autres s’il n’était pas né dans une famille où la gestion du couple parental – perpétuellement à couteaux tirés – ne s’était pas transformée au fil des années en job à plein temps. Entre une mère au foyer dépressive, obsédée par des marottes envahissantes, le tri sélectif et le 13H de Jean-Pierre Pernaut, et un père ouvrier agricole, mutique et bourru, l’ambiance est parfois pesante. Même si l’ironie bien aiguisée du garçon parvient à dédramatiser la plupart du temps, la vie n’est pas très drôle dans cette famille où personne ne s’occupe de lui. Heureusement, Éric trouvera vite le moyen de s’évader du carcan familial, enchaînant les aventures au gré des jobs d’été et du service militaire...

Épopée stylistique

Ce qui frappe dès les premières pages d’un livre de Joël Baqué, ce n’est pas tant l’histoire qu’il a décidé de nous raconter, il le dit souvent dans ses interviews, c’est plutôt la manière qu’il a de manier la langue. Sous sa plume, la moindre saynète du quotidien qui agite cette famille modeste et dysfonctionnelle vire à l’épopée stylistique. Baqué croque plus qu’il n’écrit. On se croirait dans un roman graphique. La jubilation qu’il tire des descriptions de ses personnages ou des situations devient vite communicative, usant d’un luxe de détails, enroulant sa plume d’intonations et de merveilleuses trouvailles syntaxiques, comme ce passage tordant où il se lance dans la comparaison de la psychologie des files par rapport à celle des foules. "Une file recèle le potentiel d’agressivité d’une foule en plus discursif, conditionné en portions individuelles, car personne ne veut perdre sa place, il y manque l’aération des grands emportements."

Certains paragraphes confinent à la fantaisie d’un Pagnol, comme ces soirs de matchs de foot de l’équipe locale, "sa mère aimait la voir perdre parce que Planchon la soutenait, et inversement. Au fait de leurs us et coutumes, le village les surnommait 'le couple tragique'. (...) Prudent, le jeune Éric tirait une chaise à équidistance de l’un et de l’autre, respectivement assis dans les angles sud-est et sud-ouest du séjour, chacun dans son virage, concentré tel un groupe d’ultras à lui tout seul."

Délicatesse des grands pudiques

On suit les aventures loufoques d’Éric enfant, adolescent puis jeune adulte, où il enchaîne pas mal de désillusions avec les filles, "les Ondulantes" comme il les surnomme. "Il s’y prenait mal avant même de s’y prendre. Sans être déplaisant de sa personne, il avait trop intériorisé son devoir de neutralité. Adapté au conflit intrafamilial, à un territoire bien délimité, celui-ci devenait un boulet dans les opérations extérieures menées en des contrées peu connues. Autrement dit, Éric ratissa les estivantes et se prit râteau sur râteau." Derrière la légèreté et les péripéties initiatiques, Joël Baqué tire les fils d’une relation contrariée entre un fils aimant et des parents maladroits, issus d’un temps où le dialogue et les effusions n’existaient pas. Le livre leur rend hommage avec la délicatesse des grands pudiques et c’est très beau. Comme la silhouette de cette France qui apparaît en creux quand on referme le livre. Cette France des invisibles, digne, où "l’immense majorité sourit avec les moyens du bord ou ne sourit pas".

"L’Été indien" de Joël Baqué, P.O.L, 156 pages, 17 euros.

Couverture du livre de Joël Baqué (éditions P.O.L). (P.O.L)

Extrait :

"Éric apprit à jouer des fuseaux horaires où se mouvaient ses parents, s’initia à l’art subtil des alliances de revers et double jeux, ne prit jamais ouvertement parti pour l’un ou pour l’autre, ayant tôt compris sa fonction de variable d’ajustement dans l’équilibre précaire du couple. Il acquit ainsi une maturité d’esprit précoce. Jean-Pierre Pernaut et les muscats d’Alexandrie constituaient le centre de gravité de la politique familiale. Les containers occupaient une position relativement secondaire, car Robert Planchon les ignorait par mépris. Éric évitait de se trouver en position de trancher. De même pratiquait-il pour l’ARBM ; sa mère aimait la voir perdre parce que Planchon la soutenait, et inversement. Au fait de leurs us et coutumes, le village les surnommait 'le couple tragique'."

("L’Été indien", page 26)

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