"Challah la danse" : Dalya Daoud met en lumière une France invisibilisée dans un brillant roman
Ce n'est ni la banlieue, ni la campagne. Quelque part entre les deux, dans les interstices, dans un lotissement construit spécialement pour des familles d'immigrés ouvriers, essentiellement originaires d'Afrique du Nord, à la périphérie de Lyon. Juste à côté d'une usine textile, propriété d'un patron paternaliste. Avant qu'elle ne ferme, avant la déflagration. Dalya Daoud n'écrit pas un énième livre sur la banlieue, Challah la danse, qui sort le 19 août aux éditions Le Nouvel Attila, est une expérience littéraire puissante.
Pour son premier roman, l'ancienne journaliste choisit de narrer un présent empli de souvenirs. Avec un style incisif et une touche d'humour, forte aussi de ses souvenirs, elle décrit une société entre deux univers, des destins broyés par la ville et rejetés par la campagne.
C'est aussi un lieu de rencontres entre plusieurs mondes. Dalya Daoud sait de quoi elle parle, elle puise aussi de son vécu. "Un prof de lettres à qui j'avais parlé de mes velléités d'écriture m'avait prévenue, sans avoir lu une de mes lignes, qu'il serait difficile d'accéder à la publication pour quelqu'un comme moi. Je n'avais pas osé lui demander s'il pointait mes origines ploucs, immigrées, ou les deux", confie l'autrice.
Alors, Lalla danse
Les habitants du lotissement sont tenus éloignés du centre du village. Racisme, discriminations, rêves envolés trop tôt… Ils vivent dans un entre-soi, à la fois protecteur et restrictif. Et pendant ce temps-là, Lalla, mère de famille, danse. Elle danse dans le salon sur de la musique kabyle à fond. Elle se libère. Elle vient de loin Lalla, elle a quitté sa Kabylie pour se marier en France. Elle a élevé ses cinq enfants, dont le dernier encore assez jeune, Bassu, né d'amours tardifs. "Né huit ans après Jihane, dans l'année de l'élection de François Mitterrand, Bassu avait été qualifié de surprise et même d'accident, dont seuls Smaïl et Lalla Benbassa pouvaient être tenus responsables, se livrant encore à de révoltants rapports sexuels malgré leur âge canonique". Bassu qui voit ses amitiés vaciller à cause d'idées rances qui refont surface, Bassu péquenot à la ville, Arabe des cités à la campagne, Bassu, enfant aux identités meurtries. Il symbolise, à lui tout seul, tous les antagonismes de la société française.
Lalla danse, donc. Ses enfants devenus adultes, elle veut se libérer, devenir indépendante, travailler, conduire… Elle s'émancipe. Lalla ne se contente pas de rêver, elle agit. Dalya Daoud dresse, avec des chroniques finement travaillées, le tableau d'une France invisibilisée, d'une France périphérique, ni rurale, ni urbaine, d'une France à la géographie incertaine. La multitude des personnages émouvants rend cette France vivante. Et, comme diraient les enfants de Lalla, "challah qu'elle danse". Pourvu qu'elle danse. Et Lalla danse, Lalla la résiliente. Challah la danse, une pépite littéraire poétique pleine de vie et de combats qui se lit d'une traite.
"Challah la danse", Dalya Daoud, éditions Le Nouvel Attila, 19,50 euros
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