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"L'écriture du dernier tome a été le point culminant de toutes les émotions" : Christelle Dabos, auteure de la saga phénomène "La Passe-miroir"

Avec "La Tempête des Echos", quatrième tome de "La Passe-miroir"Christelle Dabos vient de conclure sa saga devenue un succès d'édition. Elle nous raconte la genèse de cette aventure qui a bouleversé sa vie.

Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
La Tempête des Echos, quatrième tome de la saga de La Passe-miroir de Christelle Dabos, est en tête des ventes la semaine de sa sortie.  (Chloé Vollmer-Lo / Gallimard)

Publié en grande pompe pendant le Salon du livre jeunesse de Montreuil, La Tempête des Echos (Gallimard Jeunesse), quatrième tome d'une saga devenue un vrai phénomène en France, s'est hissé en tête des ventes toutes catégories confondues, quelques jours après son arrivée en librairie.

Ce livre conclut la saga de La Passe-miroir, un trésor d'inventivité prenant place dans un univers où notre planète Terre a explosé en une vingtaine d'arches suspendues dans le ciel. Chaque arche est dirigée par un esprit de famille, ancêtre de tous ses habitants, à qui il a transmis des pouvoirs. Ophélie, habitante d'Anima, a le pouvoir de "lire" les objets (c'est à dire de remonter leur passé), et de traverser les miroirs. Elle est contrainte de quitter sa famille pour se marier avec Thorn, sur l'arche lointaine du Pôle. Entraînée malgré elle au coeur de périlleuses aventures, elle va chercher la vérité sur la Déchirure, cet événement qui a bouleversé le monde et créé les esprits de famille.

A l'origine de cette histoire, il y a Christelle Dabos. Lauréate d'un concours organisé par Gallimard Jeunesse en 2013, elle est aujourd'hui l'auteure d'une série de livres ayant rassemblé près d'un demi-million de lecteurs, jeunes et moins jeunes. Elle a accepté de revenir sur les prémices de La Passe-miroir et sur la conclusion de sa saga.

franceinfo Culture : Depuis quand écrivez-vous ?
Christelle Dabos : C’est venu quand j’étais étudiante à la faculté de Nice. Une amie a tout de suite été persuadée que j’étais faite pour être auteure, sans avoir jamais rien lu de moi. En classe, elle me tendait une feuille vierge avec un titre et elle me demandait d’écrire un texte. Comme cette amie ne souriait pas très facilement, j’essayais d’écrire des textes humoristiques. Et quand je la voyais rire en classe, c’était mon moment de grâce à moi. Un jour, elle m’a proposé le titre Le Palais Magique. Je n’ai pas écrit pendant le cours mais je suis rentrée chez moi avec. Pour la première fois, j’ai écrit de manière personnelle. Cela m’a mise dans une transe très particulière, proche de l’état amoureux. J’ai su que je ne pourrais plus m’arrêter d’écrire.

Comment cela a-t-il continué ?
Une fois que j’ai eu ce déclic, j’ai essayé de continuer à écrire des petites nouvelles mais je n’y arrivais plus. Puis j'ai découvert les Harry Potter. A cette époque, les quatre premiers tomes étaient sortis et le cinquième se faisait désespérément attendre. Une amie rencontrée sur le forum de la Warner Bros - qui est aujourd’hui ma voisine en Belgique – m'a fait découvrir l’univers des "fanfictions". J'ai écrit une histoire sur le personnage de Severus Rogue. Avant, je n’écrivais pas plus de trois ou quatre pages et là j’en ai noirci plusieurs centaines.

Au Salon du livre jeunesse de Montreuil, sur le stand de Gallimard, vos livres sont juste à côté des Harry Potter
Je n’étais pas au courant. Cela me fait extrêmement bizarre. Je me souviens qu'avec mon amie, on avait plaisanté en disant qu’un jour on aurait nos livres à côté de ceux de J. K. Rowling. Mais on ne se prenait pas au sérieux à ce moment-là. Ça me donne l’impression d’être passée de l’autre côté de mon propre miroir.

Couverture des quatre tome de la saga La Passe-miroir de Christelle Dabos.  (Gallimard Jeunesse)

Quand avez-vous commencé La Passe-miroir ?
J'ai commencé La Passe-miroir quelques mois avant qu’on me diagnostique un cancer de la mâchoire. Je n'étais pas du tout au courant de cela au moment où j’ai débuté cette histoire, qui s'ouvre par un visage sortant d’un miroir. C’était juste quelques temps avant que mon miroir à moi ne vole en éclats. L’opération a été lourde et il a fallu attendre une longue cicatrisation avant qu'on me mette une prothèse. Il y a deux années pendant lesquelles je ne sortais pas beaucoup de chez moi. L’écriture est vraiment devenue quelque chose qui a fait partie de ma reconstruction et de ma cicatrisation tant physique que psychologique.

Vous avez d'abord publié votre histoire sur le site "Plume d'argent". Qu'est-ce que cette communauté a changé ?
Une semaine après ma sortie d’hôpital, il m’est apparu comme une évidence qu’il fallait que je fasse attention à ne pas me replier sur moi-même. J’avais envie de reprendre La Passe-miroir mais aussi de partager. J’ai trouvé "Plume d’argent". C’est la rencontre avec cette communauté d’auteurs en ligne qui a eu une énorme influence sur moi et qui m’a fait connaître le concours Gallimard. Je serais complètement passée à côté sinon. Mes amis "Plume d’argent" ont insisté pour que je participe. J’avais terminé mon premier tome, je l’avais entièrement retravaillé. Je n’avais donc vraiment qu’à l’envoyer. J'ai pensé que si je ne le faisais pas parce que j’avais peur, c’était une mauvaise raison. La veille de la clôture du concours, j'ai fini par envoyer mon texte. Je me suis dit que Gallimard Jeunesse avait reçu beaucoup de manuscrits avant le mien, donc que je ne prenais pas un très gros risque. Mon calcul a été très mauvais parce que finalement mon texte a été retenu. Gallimard a lu tous les manuscrits qui ont été envoyés, jusqu’au dernier.

Qu'avez-vous ressenti quand vous avez su que votre texte allait être publié ?
De façon attendue, une énorme bouffée de trouille. Je me suis dit "ça y est, c’est en train de se produire..." Et à ma plus grande surprise, quelque chose que je ne m’attendais pas à ressentir : de la joie. Je me suis demandé d'où venait ce sentiment, alors que j'avais tellement peur de me confronter au regard des autres, un regard anonyme que je n’allais plus maîtriser. Malgré tout, il y a quelque chose de joyeux qui s’est réveillé en moi.

Comment vivez-vous le succès de votre saga ?
Avec une incrédulité croissante… Là où je me suis rendu compte qu’il commençait à se produire quelque chose, c’est à la sortie du tome 2. Parce que pour le tome 1 c'était plutôt "pépère". Quand je faisais des salons, des dédicaces, j’avais le temps d’échanger avec les lecteurs. Quand le deuxième tome est sorti, j'ai fait une dédicace dans une librairie à Paris et j’ai vu une file de gens dehors. J’ai cru que c’était pour le cinéma d’à côté mais on m’a dit que c’était pour moi. Après il y a eu un effet boule de neige et cela n’a cessé de prendre de l’ampleur.

Quand vous avez commencé à écrire La Passe-miroir aviez-vous la fin en tête ?
Absolument pas. Au tout début je ne savais même pas ce qui allait se passer à la page suivante. C'était de l'improvisation totale. J'ajoutais des éléments mais je ne savais pas du tout comment j’allais les traiter par la suite. Quand j’ai commencé le tome 4, je me suis déconnectée d’internet pour ne pas être influencée par des lecteurs qui construisaient des théories ou partageaient leurs espérances. Je me suis coupée de tout cela en me demandant ce que je voulais comme fin. Peu importe les désirs des lecteurs, c’était important que je raconte l’histoire que moi, profondément, je voulais raconter.

Comment s'est passée l'écriture de ce 4e tome ?
Cela a été le point culminant de toutes les émotions. J’ai eu des moments de joie intense, des moments où j’étais immergée dans le texte et dans les personnages. La première moitié s’est écrite très facilement. Mais pour la deuxième, j’ai enchaîné les crises d’angoisse. Comme j'ai commencé cette histoire avec le cancer, je crois qu’inconsciemment il s’est produit quelque chose à ce moment-là. J’avais l’impression de mettre un point final à moi-même et ça a été un tournant. C’était un moment angoissant mais salvateur. J’ai pu vraiment aller au bout de certaines peurs et ça m’a beaucoup appris.

Qu'avez-vous ressenti en mettant un point final à cette saga ?
Quand j'ai mis le point final, j'ai essayé d'écrire autre chose à la suite. Puis j’ai effacé la phrase et je me suis dit "non, le point final, il sera là". J'étais étonnée car je m’attendais à ressentir quelque chose de puissant et dévastateur. Je me suis dit "mais en fait je suis toujours làIl y a un point final mais je suis là et je peux exister indépendamment de cette histoire qui m’a accompagnée sur un tiers de ma vie". J’ai ressenti un mélange de mélancolie et de soulagement. J’avais très peur de ressentir du deuil mais cela n'a pas été le cas et je ne le ressens toujours pas. Je pense que c’est parce que j'ai une communauté sur internet qui prolonge mon imaginaire à travers des "fanarts" et des "fanfictions". Cela me donne l’impression que l’histoire va continuer de vivre à travers d’autres.

Vos romans sont publiés chez Gallimard Jeunesse mais vous avez aussi beaucoup de fans adultes. Pour quel public écrivez-vous ?
Je ne me suis jamais posé la question. En fait je suis ma première lectrice et comme je suis moi-même coincée quelque part entre l’enfance et l’âge adulte, j’ai une écriture qui me ressemble, qui est dans cet entre-deux. A l’époque du concours Gallimard Jeunesse, je me suis demandé si mon histoire convenait à leur public cible. J’ai été étonnée qu’ils proposent le livre à partir de 13 ans. Moi, à 13 ans, si on m’avait mis cette brique entre les mains je n’aurais pas adhéré. J'ai été surprise que des jeunes entrent dans cette histoire un peu anachronique, qui ne colle pas aux modes. Et il y a tous ces "adulescents", ces adultes qui sont restés de grands ados. J’ai même une lectrice quasiment centenaire qui est venue me voir en dédicace à Paris et qui m'a demandé de terminer le tome 4 avant sa mort. J’ai une petite pensée pour elle, j’espère qu’elle pourra le lire. 

Est-ce que La Passe-miroir c’est vraiment fini, ou il y aura des livres additionnels ?
Mon éditeur aimerait beaucoup. Il m’a demandé si je n’envisageais pas un "prequel" ou un "spin-off" pour reprendre ce jargon de la série. Je ne peux pas engager la Christelle du futur mais au moment présent l’histoire est terminée. C’était important que je la termine. Il fallait que je tourne cette page-là pour pouvoir ouvrir une nouvelle page de ma propre existence.

Est-ce qu'une adaptation est prévue ?
Comme les films d’animation de Hayao Miyazaki ont beaucoup influencé mon processus d’écriture, j’ai une préférence pour l’animation. Mais je suis aussi devenue une "sérievore", et ce n’est pas un format qui me déplairait, pourquoi pas en prise de vue réelles. Il y a eu des prises de contacts, particulièrement depuis que le premier tome a été traduit en anglais. Quelqu’un semble particulièrement intéressé, mais on attend de voir ce qu’il va nous proposer.

Avez-vous d'autres projets ?
Une autre histoire a commencé à mûrir dans un coin de mon esprit, mais je me suis totalement interdit d’écrire dessus avant d’avoir fini La Passe-miroir. Maintenant que j’ai pu dire au revoir correctement à cette saga, je vais voir ce que ça va donner.

Couverture de La Tempête des Echos, final de la saga de La Passe-miroir.  (Gallimard Jeunesse)

La Passe-miroir - Livre 4, La Tempête des Echos de Christelle Dabos (Gallimard Jeunesse - 572 pages - 19,99 €)

Synopsis : Les effondrements se multiplient, de plus en plus impressionnants: Babel, le Pôle, Anima... aucune arche n'est épargnée. Pour éviter l'anéantissement total il faut trouver le responsable. Trouver l'Autre. Mais comment faire sans même savoir à quoi il ressemble? Plus unis que jamais, Ophélie et Thorn s'engagent sur des chemins inconnus où les échos du passé et du présent les mèneront vers la clef de toutes les énigmes.

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