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Littérature jeunesse : ce qui a changé après #Metoo, interview avec Isabelle Stoufflet, éditrice

Le mouvement #Metoo a-t-il eu un impact sur l'édition jeunesse ? Isabelle Stoufflet, éditrice aux éditions Gallimard Jeunesse depuis plus de dix ans, revient sur la manière dont ce mouvement déclenché par l'affaire Weinstein en octobre 2017 a pu avoir des effets sur le travail des éditeurs et des éditrices et des auteurs et auteures dans sa maison d'édition. Interview.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Isabelle Stouflet, éditrice, Gallimard Jeunesse, cllection Scripto
 (Gallimard Jeunesse)

Isabelle Stoufflet est éditrice aux éditions Gallimard Jeunesse, responsable de la collection Scripto, créée en 2002, qui s'adresse aux adolescents à partir de 13 ans, et qui propose des romans qui traitent, mais pas seulement, des sujets de société, avec des "héros proches des lecteurs". En marge de notre enquête au salon Livre Paris, sur comment #Metoo a fait bouger la littérature Jeunesse, elle nous confie comment le mouvement #Metoo a été perçu chez Gallimard Jeunesse et son impact sur la production de la maison.
 
Qu'est-ce qui a changé depuis #Metoo chez Gallimard Jeunesse ?
J'ai essayé de poser la question autour de moi avant de répondre à vos questions, et la première réaction, le cri du cœur, c'est de dire oui. Alors pas forcément de manière évidente, mais il y a eu une vraie prise de conscience. On s'est retrouvés imprégnés d'un esprit de féminisme encore plus fort, une conscience encore plus présente de la nécessité de défendre les droits des femmes, de l'urgence de ces questions.
 
Quelles ont été les conséquences concrètes sur le travail éditorial ?
C'est assez indirect. On ne peut pas comme ça citer des listes d'ouvrages qui abordent frontalement la question du harcèlement, et que nous aurions publiés après le mouvement #Metoo. Sauf peut-être dans le domaine documentaire. Avec la parution de certains ouvrages comme "Femmes", dans la collection Bam, une galerie de portraits de femmes combattantes, féministes.

Couverture "Femmes", Gallimard Jeunesse
Ou bien encore un livre s'adressant aux pré-ados, "Mon corps qui change", de Marawa Ibrahim Illustré par Sinem Erkas, qui aborde toutes les questions liées au corps de la jeune fille qui se transforme, les règles, l'épilation. Il aborde ces questions avec un joli graphisme mais sans tabou, de manière crue et décomplexée, beaucoup plus libérée que cela ne l'aurait été avant. Ce livre parle du sexe de la femme sans rien éluder : petites lèvres, grandes lèvres, clitoris... Et ça, c'est quand même assez novateur !
 
Est-ce que la question du harcèlement est plus présente dans les manuscrits que vous recevez ?
On reçoit entre 4000 et 6000 manuscrits par an, et il y a un gros écrémage. Sur les manuscrits qui arrivent jusqu'à nous, je ne pourrais pas dire que j'ai remarqué de gros changements. Le critère n'est de toute façon pas le sujet traité, mais la recherche qualitative. Et puis nous ne faisons pas de livres de commandes, donc on suit ce qui est proposé. C'est peut-être un peu tôt. En littérature il y a le temps de la maturation, le temps de la création, le temps nécessaire avant que les auteurs ne s'emparent de ces questions. Mais ce sont des questions qui étaient déjà présentes dans nos publications avant le mouvement #Metoo. "L'arbre et le fruit", de Jean-François Chabas, abordait la question de la violence conjugale.
Couvertures des livres d'Isabelle Pandazopoulos
Les livres d'Isabelle Pandazopoulos qui abordent ces questions, ont aussi été publiés avant #Metoo, comme "La décision", paru en 2011, qui aborde la question du viol et du déni de grossesse, ou "On s'est juste embrassés" (2009), celle de la rumeur qui entache la réputation d'une jeune fille, ou encore "Trois filles en colère", paru en 2017, mais qui est le résultat d'un énorme projet engagé bien avant #Metoo. Les livres n'abordent pas la question du harcèlement nécessairement de front, mais ils sont imprégnés d'un courant de féminisme, avec une volonté, une attention particulière à présenter la femme à l'égal de l'homme, voire même comme une figure héroïque. La collection Scripto, une des premières collections à s'adresser aux ados et aux jeunes adultes, est traversée par toutes ces questions depuis son lancement, en 2002.
 
La représentation de la femme dans la littérature jeunesse a-t-elle changé ?
Oui. On présente aujourd'hui plus facilement les femmes sous un jour plus positif, moins stéréotypé, voire sous un jour héroïque. C'est très net en BD. La série  "Les Culottées" (Gallimard BD) de Pénélope Bagieu, une galerie de portraits de femmes combattantes, féministes, rencontre un succès phénoménal.
 
On peut aussi citer l'adaptation en BD par Lucie Durbiano de "Claudine à l'école", de Colette, ou encore "Dans un rayon de soleil" de Tilly Walden, un album de Science-fiction qui qui ne met en scène que des femmes, et où est présente l'homosexualité. Ça aussi, c'est assez nouveau. Il y a eu une évolution, mais qui s'est amorcée avant #Metoo, dans la représentation des personnages masculins et féminins. On est sortis des stéréotypes, et notamment dans des genre comme la dystopie, ou le roman fantastique, des genres très prisés par les jeunes lecteurs, les rôles ne sont plus stéréotypés, les codes des genres sont chahutés. Et on retrouve cela dans les romans. On publie par exemple début mai "It", de Catherine Grive un roman qui aborde de front la question du transgenre. Parfois les phénomènes et les évolutions arrivent en décalé dans les livres, mais la littérature est, et doit être je dirais, le reflet de la société.
 
La littérature jeunesse peut-elle servir à faire évoluer les choses ?
Oui bien évidemment, j'en suis convaincue, la littérature a un rôle à jouer. A fortiori, la littérature jeunesse, qui met en scène des personnages dans lesquels les lecteurs et les lectrices peuvent se reconnaitre. Cela peut vraiment aider, même très concrètement les jeunes lecteurs et lectrices. Si ces livres campent des personnages féminins forts, de leur âge, ou proposent des histoires fortes autour de ces questions, avec des problématiques qu'ils partagent, alors cela peut aider à libérer la parole, à donner le cran de trouver les mots pour exprimer des souffrances, avec des textes porteurs d'espoir, qui donnent pour s'en sortir, ou se construire. La littérature joue un rôle très important, j'en suis intimement convaincue.
Couverture "Claudine à l'école", adaptation en BD, Gallimard Jeunesse
Pour conclure, j'aimerais vous parler d'une chose qui très symptomatique, et qui s'est mis en place chez nous très clairement après #Metoo, c'est qu'ici on ne parle plus jamais d'auteur sans e, que ce soit dans les présentations ou sur les 4e de couverture, on écrira "auteure" ou "autrice", la question n'est pas tranchée, mais en tous cas plus jamais "auteur" !

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Du 15 au 18 mars 2019
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