La BD jeunesse est-elle un genre littéraire comme les autres ? Réponse au Salon du livre de Montreuil
Premières heures au Salon Jeunesse de Montreuil. Des nuées d’ados et d’enfants surexcités arpentent déjà les allées du salon. Ce sont les journées réservées aux scolaires. Les mains piochent, feuillettent, certains sont studieux, répondent à des questionnaires préparés en classe. Ils sont accompagnés par les enseignants et des parents courageux…
Mahiddine accompagne sa fille avec sa classe, et il confie ne faire aucune différence entre la BD et les autres livres. Il n'hésite pas à en acheter pour sa fille. En la matière, c'est manifestement sa fille qui choisit. "Oui on achète des BD", déclare Sarah, sa fille, 7 ans, sans laisser à son père le temps de répondre à la question : "J'adore les BD fantastiques", ajoute-t-elle.
Un peu plus loin, Patrick, un autre papa accompagne quatre garçons, dont le sien, Alexis, 10 ans. "Moi je préfère les romans", dit Alexis. "Je préfère, parce que ça dure plus longtemps…", explique-t-il. "Je lis un peu des BD quand même, Tintin, Astérix, Luky Luke…", poursuit-il. "Des classiques quoi", remarque son père. "Ce n'est pas facile d'accompagner ses enfants dans la découverte de la BD quand on ne connait pas très bien soi-même", souligne le père d'Alexis. "Et pourtant je ne suis pas du tout réticent à l'idée qu'il en lise. Je considère que c'est vraiment un genre qui fait aujourd'hui partie du paysage littéraire. Mais c'est difficile de se retrouver dans le foisonnement de tout ce qui est publié, c'est vrai aussi d'ailleurs pour toute la littérature jeunesse", conclut-il.
Elodie, une jeune fille étudiante de 19 ans est concentrée sur le rayon des romans. "Je lis très peu de BD", confie-t-elle. "Je ne sais pas pourquoi, je n'aime pas trop, Il y a trop d'images peut-être", poursuit-elle. "Mais j'ai des amis qui m'ont parlé des romans graphiques, et ça m'a donné envie. Mais pour l'instant je ne m'y suis pas encore mise, je préfère déjà lire tous les romans que j'ai prévu de lire. Ce n'est pas ma priorité, mais je vais essayer !", promet Morgane.
"En tant qu'enseignante, je n'insiste pas beaucoup sur la BD", explique Sophie Fernandez, qui accompagne un groupe collégiens. "On a déjà un gros programme bien chargé, et ce n'est pas facile d'y caser de la BD", ajoute-t-elle. "Et puis il y a l'aspect financier. Les BD sont chères. Déjà que parfois ça râle quand on leur demande d'acheter un livre de poche…" Mais c'est un genre intéressant. Il y a BD et BD ! Par exemple c'est possible d'étudier la Guerre de 14 avec les albums de Tardi !", conclut la jeune femme.
Roman/ BD : les liaisons heureuses ?
Sur la scène BD, deux auteurs piliers de la littérature jeunesse : Marie Desplechin et Malika Ferdjoukh. Elles sont là pour parler de l’adaptation de leurs romans en BD. "Le journal d’Aurore", mis en images par Agnès Maupré pour Marie Desplechin et "Quatre sœurs", pour Malika Ferdjoukh, mis en images par Kathy Baur, les deux BD sont éditées par les éditions Rue de Sèvres, la branche BD de L'école des loisirs.Deux classes de 5e du collège Paris 20e sont là avec la documentaliste du collège, qui a monté ce projet avec eux, et leurs professeurs de français. Ils écoutent attentivement la lecture des textes par une comédienne, puis les questions fusent. Les ados s’intéressent autant au métier d’écrivain ("Est-ce que l'écriture est une activité chro-no-phage?"), qu’à la coupe de cheveux d’Aurore ("Pourquoi elle n’a pas la même coupe sur la couverture que dans le livre?"), qu’à la manière dont les deux auteures ont participé à l’adaptation de leurs romans respectifs en BD ("Est-ce que le personnage d’Aurore dans la BD vous plaît?").
Pour leur professeur de français, la BD est un moyen d’amener des enfants à la lecture. "On a des élèves qui ont du mal avec la lecture. Et la BD, c’est une manière pour eux d’y entrer. Je pense qu’on apprend toujours quelque chose quand on lit, quel que soit ce qu’on lit", dit-elle. "Au cours de l’année, nous allons étudier le roman d’aventures et je compte leur demander de faire une planche. Je leur demanderai de choisir un extrait, une scène, et de la découper dans une planche", confie cette professeure de français.
"La BD c’est une manière de les amener à la lecture. C’est un peu démago, mais ça marche bien"
Dans la salle, quand la séance s’achève, les enfants ont encore les mains levées pour poser des questions. "La BD c’est une manière de les amener à la lecture. C’est un peu démago mais ça marche bien. Des BD j’en achète plein pour le CDI!", explique la documentaliste. "Par exemple je sais que sur ce projet, les élèves ont lu les BD alors que je suis presque certaine qu’ils n’auraient pas lu les romans", explique-t-elle.Les deux auteures sont heureuses de la manière dont ont été adaptés leurs romans. "Pour nous, l’adaptation en BD, c’est du bonus. Ça ne change rien pour nous mais c’est une extension du domaine de l’œuvre. On crée un petit univers, un monde, et là avec l’adaptation en BD, il s’élargit. Cela permet à d’autres gens d’y entrer", remarque Marie Desplechin.
Les deux romancières sont lectrices de BD. "Par contre je n’écrirais pas directement pour la BD", confie Malika Ferdjoukh. "C’est un mode de narration vraiment différent. C’est beaucoup plus contraignant que le roman. J’aime en lire, mais je préfère la liberté d’écriture que l’on a avec le roman", conclut-elle.
"Il faut choisir avec beaucoup d’exigence les BD dans les bibliothèques"
"Contrairement aux idées reçues, la BD est une lecture très compliquée qui demande de lire à la fois les textes, les images, ce sont des codes bien particuliers, et c’est donc une lecture qui n’est pas donnée à tout le monde. D’ailleurs, il y a des enfants qui n’aiment pas du tout lire des BD", souligne Malika Person, bibliothécaire aux Lilas qui anime la rencontre. "Pour moi la BD fait partie de la littérature à part entière insiste la bibliothécaire, "la narration, le graphisme, les couleurs, c'est un genre très riche qui touche immédiatement l’émotionnel. Et je pense qu’il faut choisir avec beaucoup d’exigence les BD dans les bibliothèques", insiste-t-elle. "Et c’est beau aussi de se perdre dans les images …", conclut-elle.Pour Charlotte Moundlic, éditrice des éditions Rue de Sèvres, la BD continue à être le parent pauvre du secteur jeunesse. "Même si ça commence à changer", poursuit-elle, "il y a encore des réticences de la part des parents. A la bibliothèque par exemple, on voit encore des parents qui autorisent les enfants à lire les BD sur place, mais qui ne les autorisent pas à les emprunter pour les apporter à la maison. Comme s'il fallait que le livre soit forcément une source d'apprentissage. On a encore tendance à dissocier la notion de lecture de celle du plaisir. Comme si le plaisir d'une lecture était un pêché !", constate-t-elle en souriant. Les éditions Rue de Sèvres ont entamé un travail d'adaptation du catalogue des romans jeunesse. "Ce n'est pas du tout une démarche marketing", tient à souligner l'éditrice.
"Je pense que ces adaptations en BD servent le roman, et inversement. Et c'est une manière de toucher un public encore plus large. Et bon nombre d'adaptations que nous avons faites étaient à l'initiative des auteurs BD, qui sont venus nous voir en nous disant tiens j'aimerais adapter ce roman. Et d'ailleurs ce serait intéressant de faire le chemin inverse. La BD "Cet été là", de Mariko Jillian Tamaki, (Rue de Sèvres, 2014) pourrait complètement être adaptée en roman. Ce serait vraiment amusant de faire ça !", sourit-elle.
Le salon de Montreuil s'investit en BD
Cette année, sur les six pépites décernées, trois sont des BD, dont "Dans la forêt sombre et mystérieuses" (Galllimard BD), de Winshluss, doublement primé. Le choix de créer des catégories par âge et non plus par genre inscrit de fait la BD dans la littérature jeunesse, sans distinction.Frédéric Lavabre, directeur des éditions Sarbacane, qui défend depuis plus de 10 ans la BD jeunesse, se dit très heureux de cette place accordée à la BD au salon de Montreuil cette année : "Et je suis très heureux que "Totem" ait reçu la pépite" (Pépite dans la catégorie 'Grands', décernée par le jury professionnel de Montreuil).
"Il y a un vrai phénomène de la BD pour les ados"
"Il y a un vrai phénomène aujourd'hui de la BD pour les ados. Jusqu'ici il y avait la BD pour les enfants d'un côté, et la BD adulte de l'autre. Et entre les deux rien. Autrement dit, rien n'était proposé aux ados, sauf de la BD adulte", explique Pierre Pulliat, spécialiste de la BD jeunesse, "Les éditeurs se sont rendu compte avec le succès des mangas depuis dix ans qu'il y avait un public énorme", poursuit-il. "C'était un public négligé, mais aujourd'hui les choses changent et on assiste au développement d'une BD pour les ados de qualité et qui marche.""On peut voir ça par exemple avec le succès de la série "Seuls", qui va être adaptée au cinéma", souligne-t-il. "Et on voit maintenant arriver une génération de parents qui sont amateurs de BD, depuis l'émergence de la BD indépendante, et qui acceptent, incitent même, leurs enfants à en lire. Même si on entend encore dans les bibliothèques la petite phrase "Ok pour la BD, mais prends aussi un vrai livre !", conclut-il en souriant, avant de se diriger vers la scène BD où il anime une rencontre sur l'adaptation du roman en BD.
A noter : samedi entre 17 et 19 heures, tous les évènements du salon seront consacrés à la BD.
Tous les temps forts de la BD au Salon du livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil
Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis
Du 30 novembre au 5 décembre 2016
Espace Paris-Est-Montreuil
128 rue de Paris
Montreuil
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