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Droits d'auteurs : pourquoi les auteurs jeunesse sont-ils si mal payés ?

Le salon du livre jeunesse de Montreuil est la grande fête de la littérature jeunesse, un secteur en pleine forme qui n'a jamais produit autant de livres ni fait autant de bénéfices. Mais qu'en est-il des auteurs ? De quoi vivent-ils ? Ils manifestent aujourd'hui et samedi à Montreuil pour sensibiliser les lecteurs et le monde de l'édition sur leurs conditions de travail le plus souvent précaires.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Auteurs en dédicace - Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (2016)
 (Eric Garault)

Les auteurs ont manifesté lors de l'inauguration du Salon du livre jeunesse de Montreuil. Equipés de plumes, et scandant : "On n'est pas des pigeons ! " en arpentant les allées du Salon de Montreuil.

Manifestation des auteurs au Salon Jeunesse de Montreuil (29 novembre 2017)
 (laurence Houot / Culturebox)
En France les auteurs sont mal payés, et ils le sont encore moins bien s'ils écrivent ou qu'ils dessinent pour la jeunesse. Quand les auteurs de la littérature adulte touchent en moyenne 10% de droits d'auteurs, ceux du secteur jeunesse tournent autour de 5 ou 6 %.  Pourquoi les auteurs jeunesse sont-ils si mal payés ? Les réponses avec Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse qui regroupe 1400 auteurs et illustrateurs.

  • Parce qu'en France on vit toujours dans une vision romantique de l'auteur

"La France vit aujourd'hui encore dans une vision très sacralisée de la littérature, de l'écrivain comme créature éthérée. Du coup, si on parle des conditions matérielles des auteurs, cela choque", explique Samantha Bally. Cette vision romantique est pourtant bien loin de la réalité : en 2016, le chiffre d'affaires du secteur jeunesse s'élève à 324 millions d'euros, un chiffre en progression de 5.2 % par rapport à l'année précédente. "Il faut bien comprendre que l'édition jeunesse est une industrie", explique Samantha Bailly.

  • Parce que le secteur est en surproduction

"On s'inscrit dans une logique économique très violente, où on produit de plus en plus de livres (6000 cette année). "Les éditeurs publient plus pour minimiser le risque, en se disant sur les dix livres publiés, il y en a bien un qui va marcher". Résultat, de plus en plus de sorties et une durée de vie en librairie de plus en plus courte. "C'est la logique du gâteau qu'il faut partager, et du coup certains auteurs essaient de compenser en publiant plusieurs livres par an", poursuit cette auteure qui confie vivre de sa plume depuis 6 ans seulement, après un long parcours du combattant. Le secteur gagne donc de plus en plus d'argent, et les auteurs eux, de moins en moins. Une étude du ministère de la culture, qui porte sur 2016-2017, montre une baisse notable des revenus des auteurs, et une fragilisation de cette population. (L'étude du Ministère de la culture / CNL 2016)

  • Parce que "si le livre était une pizza, les auteurs gagneraient les olives"

"Dans la valeur d'un livre, la part des droits d'auteurs représente 1 %, on peut aller jusqu'à 14  % pour les bestsellers, mais en général, cette proportion reste très faible", explique Samantha Bailly.
Marque-pages édités par la Charte sur la répartition sur la valeur d'un livre
En France, les auteurs sont payés en droits d'auteur. Ils touchent ce que l'on appelle des "à-valoir", c’est-à-dire une avance sur les droits. Soit pour écrire, s'il s'agit d'une commande, soit l'avance est versée au moment où le manuscrit est accepté par l'éditeur. Ensuite, les droits d'auteur ne sont versés que lorsque l'avance est amortie. "Et ça, il faut déjà que le livre ait un petit succès, ce qui n'est pas si facile dans un contexte qui produit autant", souligne Samantha Bailly. "On a quand même progressé, puisque maintenant cet "à valoir" est acquis, quelles que soient les ventes. Même s'il arrive encore que des éditeurs essaient de les récupérer !".

  • Parce que la littérature pour la jeunesse est toujours peu et mal considérée

Cette sous-valorisation du travail des auteurs est le reflet de la considération portée à ce qui est destiné aux enfants. "On est là dans la question de la légitimité de la littérature jeunesse. On vante partout la créativité du secteur, la variété, la richesse de la littérature jeunesse, mais on oublie que c'est une richesse qui est produite par des auteurs, qui acceptent de travailler dans des conditions extrêmement difficiles, parce qu'ils sont passionnés", souligne Samantha Bailly. On parle toujours de la prise de risque des éditeurs, mais rarement de celle des auteurs. On vit dans un monde très "édito-centré", où les éditeurs sont toujours au centre de tout. Mais il ne faut pas oublier que la création, c'est avant tout le fruit de leur travail, avant même les éditeurs" insiste Samantha Bailly.
"L'auteur n'existe pas aux yeux des institutions. La question de la compensation pour la hausse de la CSG en est l'exemple. Je pense que cette question a été balayée au départ, non pas de manière intentionnelle, mais par méconnaissance de la situation des auteurs. Heureusement l'amendement a été adopté au Sénat le 15 novembre dernier et devrait l'être à l'assemblée", poursuit Samantha Bailly. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 prévoit d'augmenter le taux de la CSG, et de compenser cette hausse par une baisse de la cotisation chômage. Cette mesure pénalisait les auteurs, qui ne cotisent pas au chômage puisqu'ils n'y ont pas droit. 

  • Parce que les auteurs sont solitaires et forment une famille très hétéroclite

Les auteurs et illustrateurs forment une famille très hétéroclite. Ils travaillent de manière solitaire. Ils sont donc difficiles à identifier. "C'est pourquoi la charte a pour vocation de défendre les auteurs, mais aussi de tisser des liens professionnels entre auteurs et bibliothèques, établissements scolaires, salons", souligne Samantha Bailly. "Il faut un cadre, des normes et du dialogue", insiste-t-elle.

  • Parce que le métier d'auteur reste une profession féminine

Le métier d'auteur pour la jeunesse est historiquement un métier exercé majoritairement par les femmes. "La littérature jeunesse a commencé comme ça, avec des femmes au foyer qui écrivaient des histoires pour les enfants, et donc n'étaient pas considérées comme des professionnelles", souligne Samantha Bailly. Aujourd'hui, elles représentent encore 70 % des auteurs. Et l'on sait que les rémunérations des femmes dans ce secteur sont inférieures aux rémunérations des hommes. "Je n'ai pas de chiffres sur la jeunesse, mais en BD par exemple, la rémunération des femmes est 68 %  moins élevée que celle des hommes", précise-t-elle.

  • Parce que les règles sont floues et que le secteur a besoin de se professionnaliser

"Il y a une sorte de vide juridique", explique Samantha Bailly. "L'auteur ne connait pas ses droits, il n'a souvent aucune idée de ce qu'il peut négocier avec l'éditeur et il est souvent en situation de faiblesse lors des négociations. Tout est flou, y compris du côté des éditeurs, qui font parfois des contrats inéquitables sans mauvaises intentions. C'est pourquoi il faut cadrer, et établir des normes".

"Il y a souvent une relation affective entre l'auteur et l'éditeur, qui ne facilite pas les choses. Dans de nombreux pays, les auteurs ont des agents, qui s'occupent de toute cette partie pécuniaire et juridique. C'est plus clair, plus simple, plus confortable pour tout le monde.", ajoute Samantha Bailly.

Pour aider les auteurs à défendre leurs droits, la charte des auteurs jeunesse propose du conseil juridique gratuit, du conseil en cas de litige, de l'information (comme des fiches d'informations à télécharger sur le site de la Charte). Ils interpellent les pouvoirs publics pour faire valoir les droits des auteurs, et ils manifestent aussi, pour sensibiliser le monde du livre à la condition des auteurs.

C'est ce qu'ils feront mercredi lors de l'inauguration et samedi au salon du livre de Montreuil. Une manifestation organisée en toute transparence "avec les gens de Montreuil qui comprennent très bien le problème, et aussi avec les lecteurs, qui ignoraient cette situation et qui aujourd'hui sont engagés auprès des auteurs", conclut Samantha Bailly. Une table ronde est aussi prévue lors de la journée professionnelle de lundi 4 décembre.

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