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Au salon de Montreuil, les ados kiffent la lecture (ou pas)

Si la littérature Jeunesse est un secteur aussi florissant, c'est grâce aux romans pour les ados, pôle le plus dynamique du genre. Pourquoi ça marche, et qu'est-ce qui plaît ? Des pistes au salon de Montreuil, où ados et auteurs se rencontrent, et où Claudine Desmarteau, auteur de "Troubles", dévoile comment elle s'y prend pour écrire des livres qui les touchent (et c'est tout sauf des recettes).
Article rédigé par franceinfo - Laurence Houot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2012, pôle ados
 (Laurence Houot / Culturebox)

Au Salon du livre et de la presse jeunesse, les ados ont leur espace dédié, le "pôle ados". Là, ils peuvent assister à des rencontres avec les auteurs, et s'installer dans le Juke-Box, pour regarder des films qui présentent le travail des auteurs qui travaillent pour eux.

Lire : ce qu'en disent les ados

"J'aime pas lire", dit Yaya, 13 ans, vautré dans le Juke-box. "C'est pas intéressant", ajoute-t-il, on n'en tirera pas plus, sinon qu'il préfère le sport et les écrans. Il est encadré par deux copains qui gloussent. "On est dans le monde moderne, madame !" dit Kevin, 12 ans, l'air de vouloir être d'accord avec Yaya, mais, surprise, il ajoute "Moi j'aime bien lire". Un peu de tout, détaille-t-il. Le dernier livre qu'il a lu, c'était à l'école : "Instinct" de Vincent Villeminot. "C'était un livre sur le rêve, la métamorphose, j'ai bien aimé.". Et à la question de savoir quels sentiments la lecture lui procure: "Quand je lis, je suis plongé dedans, ça me donne des sensations fortes.". La conversation prend une tournure un peu trop sérieuse. Le troisième larron, Erwan, un jeune garçon joufflu et joyeux, met son grain de sel pour conclure : "Si on me met devant moi une console, une télé, un ordi et un livre, moi, je choisis pas le livre !". Bon, c'est dit.

Les bons élèves

Un peu plus loin, des élèves de collège écoutent religieusement Michelle Paver, auteur britannique, dévoilant les dessous de ses romans, qui mâtinent aventures, mythologie et fantastique. Gaétan, 12 ans, a son dernier roman sur les genoux (l'état de délabrement du livre laisse penser qu'il est en train de le lire, ou que c'est déjà fait). "J'aime bien lire, des romans d'aventures surtout, des livres qui me font rêver, voyager. Je lis pas mal, j'ai toujours un livre en cours.", explique ce collégien venu de Reims avec sa prof de français.

Rencontre avec Michelle Paver, auteur jeunesse
 (Laurence Houot / Culturebox)
"L'aventure, le fantastique, on aime bien. Quand il y a des énigmes aussi ! Et ce qui est bien aussi, c'est quand il y a plusieurs tomes, plusieurs épisodes. C'est bien la lecture, on ressent des émotions", ajoute Mathis, son copain, enthousiaste à l'idée d'aller faire dédicacer son exemplaire à la fin de la rencontre. Il conclut en chuchotant : "Là je suis plongé dans Harry Potter. J'en suis au 4. J'avais vu les films mais je m'ennuie pas du tout en lisant le livre!". Bon, on a peut-être affaire à des exceptions là quand même non?

Mais si on regarde les chiffres, c'est à peu près ça, (en plus sec) : 78 % des enfants âgés de 7 à 15 ans aiment lire, adorent même! Mais l'étude d'Ipsos commandée par Gallimard Jeunesse -la maison d'édition s'est offert ça pour ses 40 ans- note qu'à partir de 11 ans, l'attrait pour la lecture en prend un coup, les ados préférant les écrans ou le sport et les amis.

La mode des séries et de la Fantasy

Si la littérature pour les ados rapporte, c'est aussi beaucoup grâce à la mode récente venue des pays anglo-saxons (depuis 5 ou 6 ans), de livres en grands formats. Jusque-là les ados lisaient en poche. "Les ados aiment bien ce format mais aussi parce que c'est devenu une littérature qu'on appelle littérature "jeune adulte", qui touche un public plus large, un peu plus vieux (les plus de 20 ans), qui fait la jonction avec la littérature adulte. Et comme ils sont plus chers (13, 15 17 euros), ça booste le chiffre d'affaires des maisons d'édition", explique Sylvie Vassalo, directrice du salon. Ce qui plaît, ce sont les romans Fantasy, et les ventes en sont la preuve : dans le sillage du phénomène "Harry Potter", les épisodes de "Twilight" (Hachette Jeunesse), "Hunger Games" (Pocket Jeunesse), "Eragon" (Bayard) se sont vendus à des centaines de milliers d'exemplaires en France (des millions aux Etats-Unis). S'est développé autour de ce phénomène un véritable modèle marketing très offensif, où le livre trouve un prolongement dans les produits dérivés et le cinéma. Des blogs, des sites internet proposent aux lecteurs d'interagir avec l'auteur, voire même d'influencer les scénari de leurs séries préférées.

Les filles décrochent moins vite que les garçons de la lecture
 (Laurence Houot)
"Les jeunes lecteurs aiment bien se plonger dans d'autres mondes. C'est un peu comme la prolongation des contes de fée. Ils aiment les livres qui les mettent en scène, où il faut surmonter des épreuves, vivre des péripéties, des aventures où ils vont sauver le monde, un monde réel ou imaginaire", explique Sylvie Vassalo. Il y a ce paradoxe aussi : à cet âge, la pratique de la lecture diminue, surtout chez les garçons, mais en même temps, quand ils lisent ils plongent littéralement dedans, avec même une tendance addictive, ils adorent les séries, et la lecture devient une véritable passion !", note Sylvie Vassalo. "On peut le déplorer, cet engouement pour ce genre de littérature, mais il faut s'y intéresser. Pourquoi les ados ne seraient-ils pas prescripteurs ? Notre rôle, c'est de les amener à découvrir d'autres univers."

Claudine Desmarteau sème les "Troubles"

Faire connaître des auteurs, leur univers et leurs livres, c'est ce que fait le salon : six auteurs invités cette année, les ados peuvent les rencontrer sur le salon, et découvrir leur travail dans le Juke-box, où des films leur sont consacrés.

Claudine Desmarteau, auteur de "Troubles" (Albin Michel)
 (Laurence Houot / Culturebox)
Claudine Desmarteau en fait partie. Elle vient de publier "Troubles" (Albin Michel Jeunesse), un roman parfaitement titré, qui décrit admirablement cette période de la vie, suspendue dans des possibles et où tout, d'un souffle, peut basculer. Elle a rencontré les ados au salon. "C'était vraiment passionnant. J'ai pas eu une seule question bateau. Ils avaient lu le livre et m'ont posé des questions vraiment pertinentes", explique-t-elle. "Ce que j'aime bien avec les ados, c'est qu'il y a une grande liberté. Ils n'ont pas d'a priori. Ils ont envie de découvrir, même si c'est toujours un peu angoissant de les rencontrer, parce qu'on ne sait pas, le livre peut leur déplaire complètement, ça peut ne pas du tout résonner en eux.".

Comment écrire pour les ados ?

A cette question, Claudine Desmarteau ne veut pas répondre, elle ne veut pas "écrire pour les ados", pas penser en termes de marketing ou de cible, pas fabriquer des recettes. "J'écris des livres pour le plaisir. Je veux avancer. Je veux pas radoter. C'est pour ça que j'essaie aussi de changer la tranche d'âge de mes personnages d'un livre à l'autre. Gus (le personnage de sa série "Le Petit Gus", hommage au Petit Nicolas) il a 10 ans, et ses histoires intéressent les jeunes ados, 10, 13 ans. Alors que "Troubles", c'est pas un livre pour les enfants de 12 ans. Les deux personnages sont en première. C'est un autre monde. Deux ou trois ans de plus à cet âge, ça change tout.". Et si ses livres plaisent aux ados, c'est peut-être parce qu'elle l'a été et qu'elle n'a pas oublié. Et si des fois ça lui arrivait, elle en a deux spécimens à la maison, avec qui elle peut échanger, partager, puiser l'inspiration. "Si j'écris pour les ados, c'est peut-être pour me rendre intéressante aux yeux de mes enfants. Quand ils sont petits c'est facile, après quand ils grandissent  il faut en faire des caisses pour qu'ils oublient pas qu'on existe !", dit elle en souriant.

"J'aime bien changer de tranche d'âge, pour pas radoter"
 (Claudine Desmarteau/ Albin Michel)
Claudine Desmarteau écrit et dessine. Son précédent livre, "Teen Song", est un roman illustré, qui raconte la passion d'une adolescente pour Led Zeppelin. "La jeunesse est un espace de grande liberté, les éditeurs sont ouverts à des formes nouvelles. Ils prennent des risques, beaucoup plus il me semble que dans l'édition adulte", souligne-t-elle. Pas de recette de fabrication donc pour séduire les ados, mais un bon sens de l'observation, un brin de mémoire, une grande exigence dans l'écriture, et de l'humour aussi, voilà le secret de ses livres.

Conclusion : les ados lisent !

On dirait bien qu'à cet âge où tout est si fragile, la lecture  reste un espace de rêve, de possibles et de construction. Et malgré les écrans, malgré le monde qui court, malgré les consoles de jeux et les réseaux sociaux, les ados continuent à lire. A leur manière.

Tout le programme pour les ados au Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, jusqu'au lundi 3 décembre

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