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"Chocolaté" : l'écrivain Samy Manga signe une virulente charge contre les "hommes blancs" qui exploitent les planteurs de cacao africains

Dans "Chocolaté - le goût amer de la culture du cacao", le romancier camerounais Samy Manga décortique le système pernicieux qui fait de la culture du cacao, à l'origine du chocolat tant apprécié en Occident, un piège parfois mortel pour les agriculteurs qui en vivent en Afrique.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
L'écrivain Samy Manga, auteur de "Chocolaté - Le goût amer de la culture du cacao". (ECOSOCIETE)

Le chocolat – dégusté pendant les fêtes de Noël, à Pâques ou tout simplement pour se faire plaisir dans les pays riches – est le résultat d'un dur labeur d'agriculteurs, majoritairement sur le continent africain qui abrite les plus grands producteurs de cacao. Abéna, le héros de l'écrivain camerounais Samy Manga dans "Chocolaté - Le goût amer de la culture du cacao" (Ecosociété) qui pourrait être son alter ego, en sait quelque chose.

Abéna a été bercé par cette culture grâce, ou plutôt, à cause de l'exploitation de son grand-père qui s'étendait, quand il avait "à peine 10 ans", sur "quatre terrains de foot" dans le centre du Cameroun, en Afrique centrale. Il aura ainsi été le témoin des ravages du commerce de la précieuse fève sur sa terre natale alors qu'elle rime avec douceur sous d'autres cieux. Plaisir d'ailleurs insoupçonné pour ceux qui produisent cette matière première.

Une fève produite dans la souffrance

Du défrichage de la forêt, en passant par l'arrosage de fongicides sur la plantation – dont il pouvait observer les dégâts sur les agriculteurs et l'indifférence des autorités villageoises–, à la vente des fèves "de sueur et de sang" aux "hommes blancs", Abéna est aux premières loges d'un système d'exploitation bien huilé. Premières victimes : les agriculteurs. A l'autre bout de la chaîne, les multinationales parmi lesquelles le géant suisse Nestlé, propriétaire de la marque Cailler, font la pluie et le beau temps. Elles sont pointées du doigt en dépit de leurs initiatives pour limiter, par exemple, le travail des enfants. Car le cercle vicieux que décrit Abéna est beaucoup trop retors pour générer du positif."De toutes les manières possibles, l'argent du chocolat a violé la plupart des conventions censées réguler la culture du cacao", assène Samy Manga.

Outre les dégâts socio-économiques dont l'exploitation du cacao est à l'origine, la culture constitue également une menace écologique parce qu'elle est responsable de la déforestation dans les pays producteurs. Comme l'a encore confirmé en 2021 l'inventaire forestier et faunique de la Côte d’Ivoire, premier producteur au monde de cacao, sa culture est la première responsable de la déforestation. Ce pays d'Afrique de l'Ouest perd, chaque année, en moyenne 3% de sa couverture forestière depuis 1986. 

Exorciser par le verbe

La prose anti-colonialiste et anti-capitaliste de Samy Manga, entrecoupée de poèmes tout aussi engagés, est largement documentée et reprend les constats que font depuis des années les chercheurs, les ONG ou encore les organisations internationales. La singularité de l'approche de l'écrivain et militant camerounais, résidant en Suisse, est la description d'une colère qui enfle et monte en puissance. Né dans l'esprit d'un enfant, le sentiment se structure sur trois décennies et au fur et à mesure qu'Abéna s'instruit. "Les grands hommes d'affaires blancs" et leurs complices locaux, qui avilissent les planteurs, sont l'objet de toutes ses invectives que seule justifie la violence originelle d'un système qui broie les planteurs et par ricochet leurs proches, comme le sont les fèves de cacao, pour obtenir le chocolat.  

L'éducation de l'apprenti-planteur Abéna s'est poursuivie loin des champs, dans la capitale politique du Cameroun, Yaoundé. Pour les siens, l'objectif était simple : "les sortir de la pauvreté et, plus encore, de la misère du cacao". Et pas question pour Abéna de "perpétuer le douloureux héritage des planteurs de cacao comme son grand-père". Pour atteindre son but, le héros de Samy Manga s'est employé à décrypter "la tyrannie de l'or vert". Comme si "l'enfant écorce", fasciné par la médecine traditionnelle, espérait, tel un guérisseur, chasser le mal pernicieux qui ronge les planteurs de cacao, auto-enchaînés par leur "servitude" volontaire.

Couverture du roman de Samy Manga, "Chocolaté", mars 2023 (Ecosociété) (ECOSOCIETE)

Chocolaté - Le goût amer de la culture du cacao, de Samy Manga (Ecosociété, collection Parcours, 136 p., 14€)

Extrait : "Cœurs et muscles aux aguets, ils avaient les oreilles tendues et les sexes bandés au moindre ronflement de voiture qui naissait dans la vallée en provenance de la ville. Comme une bande d'esclaves impatients de quitter les plantations pour un laps de temps au pays du bonheur, ils s'apprêtaient à implorer la générosité des maîtres du monde et la bonté des argentiers au grand pouvoir économique. Oui, eux, les planteurs de fèves, attendaient les acheteurs exactement comme des mendiants maudits en quête d'aumône". (Chocolaté, p.27)

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